Tu vas bien ? Tu crames, mais avec le sourire

Chapitre 1 – “Tu vas bien ?” – L’attaque passive-agressive la plus sournoise du capitalisme émotionnel

Tu vas bien ?

C’est LA question qui te fait réaliser que non seulement tu vas mal, mais qu’en plus, tu dois mentir pour ne pas flinguer l’ambiance dans la cafétéria. C’est une phrase-piège, une mini grenade émotionnelle dégoupillée avec le sourire. Une attaque nucléaire sous forme de formule de politesse. Tu vas bien ? Mais bordel, comment veux-tu aller bien quand tu passes huit heures par jour dans une boîte qui a autant d’humanité qu’un grille-pain soviétique rouillé ?

Tu vas bien, c’est ce que te dit ton manager quand il croise ton regard vide, celui d’un être humain qui a remplacé sa volonté de vivre par un abonnement Excel Premium. Il sait que tu crames lentement, comme une clope oubliée dans une station-service, mais il te le demande quand même, avec ce petit ton mielleux qui donne envie de manger des piles. C’est pas une question, c’est une sommation. “Dis oui. Et souris. Et surtout, reviens demain.”

Dans la jungle de l’entreprise, “Tu vas bien ?” est au salarié ce que “T’as l’air fatigué” est à une maman de 3 enfants à 7h du matin : une provocation à peine déguisée. Répondre “non” ? Mauvaise idée. Tu passes direct pour le mec fragile, le cheveu sur la soupe, le boulet RH du trimestre. Une statistique ambulante. Répondre “oui” ? Bravo, tu viens de contribuer à ton propre enfouissement émotionnel. À ce niveau-là, t’es plus un salarié, t’es un spéléologue de ton propre mal-être.

Mais le mieux, c’est que cette question ne vient jamais seule. Elle est suivie d’un “On compte sur toi cette semaine, t’es solide hein !” qui a la subtilité d’un lancer de frigo par un gorille dopé. Et toi, dans ta tête, tu calcules si tu peux t’enfuir en courant ou si tu dois juste simuler une panne corporelle. Spoiler : tu fais rien. Tu souris. Et tu dis “oui, bien sûr”, comme si t’étais pas à deux doigts d’ouvrir une fromagerie à Bali juste pour t’en sortir.

En fait, “Tu vas bien ?” dans une entreprise moderne, c’est comme si Hannibal Lecter te demandait si t’as assez de sel pour accompagner ta propre jambe. C’est grotesque. C’est absurde. Et c’est devenu normal. La normalité a foutu le camp le jour où on a confondu “prendre des nouvelles” avec “s’assurer que t’as pas encore sauté par la fenêtre”.

Tu vas bien ? Mais est-ce que eux vont bien, ceux qui posent cette question ? Est-ce qu’ils dorment la nuit, ces simulateurs d’empathie, ces contorsionnistes de l’hypocrisie qui tiennent plus du pantin de vitrine que de l’être humain ? Bien sûr qu’ils dorment. Sur des oreillers en CV broyés. Avec des rêves en PowerPoint et des câlins de KPI.

Alors la prochaine fois qu’on te demande “Tu vas bien ?”, n’hésite pas à répondre : “Oui, si on considère que le Titanic allait bien jusqu’au moment où il a embrassé un glaçon.” Ça fera rire. Ou pas. Mais au moins, toi, t’auras balancé une vérité. Une toute petite, mais déjà trop grande pour leur logiciel interne.

Chapitre 2 – Le burnout, ce grille-pain possédé qui pète un câble et fout le feu à ton âme

Le burnout, c’est pas une fatigue. C’est une combustion spontanée de l’intérieur de ta cervelle, comme si ton corps avait décidé de faire une fête foraine en enfer, avec des loopings de stress, des barbes à papa d’angoisse, et un feu d’artifice de “j’en peux plus” à 7h15 du matin.

Imagine un grille-pain. Tu le branches, il grille ton pain tous les jours sans broncher. Un bon petit soldat. Et puis un matin, sans prévenir, il claque, il explose, et il tente d’incendier ta cuisine. Le burnout, c’est pareil, mais avec ton cerveau. Tu continues à fonctionner, tu dis bonjour, tu réponds aux mails, tu vas aux réunions, jusqu’au jour où ton système nerveux t’envoie un fax en lettres capitales : “FERME-LA. COUCHE-TOI. MÊME RESPIRER, C’EST TROP.”

Tu peux plus réfléchir. T’es là, devant ton ordi, à fixer un tableau Excel comme si c’était une prophétie maya, et t’es incapable d’ajouter deux nombres sans penser à ta propre mort ou à partir élever des chèvres au fond du Larzac. Tu te lèves le matin et ton corps pèse 300 kilos. Pas de gras. Juste du plomb émotionnel. Même le geste de te laver les dents devient un défi olympique.

Le pire, c’est que ça n’arrive pas d’un coup. C’est insidieux. Tu te dis : “Je suis juste un peu fatigué”, “C’est passager”, “Je vais me reprendre”. Tu mens, comme on se répète que le Titanic va juste faire demi-tour. Tu continues à aller bosser en traînant ton squelette comme une valise trop pleine. Tu souris, tu fais des blagues. Mais dedans, c’est le néant. Le vide intersidéral. Une salle d’attente où ton âme a déposé un ticket numéroté mais le guichet est fermé à jamais.

Et autour de toi, personne ne voit rien. Tes collègues pensent que t’es juste “un peu tendu”. Ton manager te félicite d’être “tellement impliqué”. Il est là, content comme un cochon qu’on graisse, pendant que toi tu perds tes cheveux, ta mémoire, ta libido et ta volonté de vivre dans le même Tupperware.

Le burnout, c’est pas du stress. Le stress, c’est un feu de camp. Le burnout, c’est Tchernobyl. Et ce qui est magnifique dans cette belle tragédie silencieuse, c’est que tout le monde agit comme si c’était normal. Comme si c’était ton problème. T’as qu’à méditer, faire du yoga, manger bio, boire des infusions à la pisse de licorne. Sauf que t’as pas besoin d’un tapis de yoga. T’as besoin qu’on éteigne le feu.

Mais ils le feront pas. Parce que pour eux, t’es un grille-pain. Et les grille-pains, ça se remplace.

Chapitre 3 – Service RH : est-ce que ce n’est pas, au fond, une franchise de la Scientologie ?

Bienvenue au service Ressources Humaines, ce département mystérieux où l’humanité va pour mourir, puis être recyclée en infographie PowerPoint. Le RH, c’est ce truc qu’on te vend comme le gardien bienveillant de ton bien-être au travail, mais qui, dans les faits, ressemble plus à un bureau de douanes de l’enfer : tu passes, tu te fais fouiller psychologiquement, on te confisque ton amour-propre, et on te remet un smiley jaune en guise de compensation.

On dit “ressources humaines” comme on dirait “batterie de poules heureuses”. En vérité, c’est le seul endroit au monde où on peut planifier ton humiliation, ta mutation, ton éviction ou ta promotion foireuse… avec des mots doux et une police Arial 12. Ce sont des gens qui peuvent dire “on est là pour t’écouter” pendant qu’ils écrivent “profil problématique” dans un tableau croisé dynamique.

Un RH typique est formé à la diplomatie passive-agressive. Il ou elle maîtrise le sourire institutionnel, cette expression faciale qui dit : “On compatit à ton calvaire, mais surtout, ferme-la.” Ce sont eux qui te convoquent pour un “entretien bienveillant” qui commence par “tu nous as inquiétés” et se termine par “on va t’aider à rebondir, en dehors de cette entreprise, idéalement loin, et sans bruit”.

Ils ont aussi une passion sadique pour les outils de pilotage du bonheur. Des enquêtes internes où tu coches “je me sens épanoui” sous la menace psychologique d’un regard désapprobateur. Et attention : si tu dis que ça va pas, alors là... tu deviens un cas à surveiller. Dans le jargon RH, on appelle ça “un signal faible”. Traduction : “Personne potentiellement incontrôlable – à dégager avant contamination.”

Et puis il y a le nec plus ultra : l’entretien annuel d’évaluation. L’apogée de la tartufferie managériale. On te félicite pour ton “engagement”, mais on te baisse ta prime parce que t’as pas atteint l’objectif flou décidé en mars dernier par un algorithme bourré. C’est comme une scène de torture raffinée dans un film d’époque, sauf que là tu signes le compte-rendu toi-même, avec un stylo quatre couleurs.

Mais ne les jugeons pas trop vite. Eux aussi sont souvent au bord du gouffre. Ils ont simplement choisi de devenir les bras armés du système, plutôt que ses victimes. Ce sont les infirmiers de guerre qui injectent des tranquillisants pendant que le champ de bataille explose. Des zélotes administratifs qui ont renoncé à l’empathie pour une place au chaud à côté du chauffage central de la hiérarchie.

Alors oui, le service RH, c’est un peu la Scientologie de l’entreprise : tu penses que c’est une aide, mais au final t’en ressors avec moins de neurones et beaucoup plus de doutes sur l’humanité.

Chapitre 4 – Manager sadique : portrait robot du mec qui fait du sudoku pendant ton agonie mentale

Il est là, toujours tiré à quatre épingles, avec sa chemise repassée par un stagiaire sacrifié et ses chaussures qui brillent comme ses intentions : glaciales et sans âme. Le manager sadique, ce n’est pas qu’un cliché – c’est une créature réelle, cultivée dans les couveuses climatisées des écoles de commerce. On le reconnaît à son sourire à 32 dents parfaitement alignées, chaque dent correspondant à un rêve d’employé brisé.

Ce type est une œuvre d’art, mais façon taxidermie émotionnelle. À l’extérieur, il est impeccable. À l’intérieur, il est vide, comme un Kinder Surprise sans surprise. Il parle d’“agilité” alors qu’il t’attache les chevilles au radiateur émotionnel. Il dit “confiance” mais il te fout un tableau de suivi toutes les deux heures. Il te dit “sois autonome” puis t’envoie douze mails à 21h12 pour savoir si t’as bien pensé à ranger ta virgule.

Il a des phrases magiques, ce mec. Des phrases qui pourraient être gravées dans les toilettes de l’entreprise, en lettres d’or, juste au-dessus de la poubelle où on jette les demandes de congé maladie. Des phrases comme :

  • “Je te soutiens, mais il faut que tu montres que tu sais te débrouiller seul.”
  • “On a tous des moments difficiles, mais on n’est pas là pour se plaindre.”
  • “Je te mets une pression positive.”
  • “T’es trop sensible, c’est ce qui te rend fort.”

La dernière fois qu’un type m’a dit ça, c’était en me giflant avec une sandale mouillée.

Ce manager, c’est aussi le roi des injonctions contradictoires. Il veut que tu sois “force de proposition” mais que tu te taises quand t’as une idée. Il veut que tu prennes des initiatives, sauf si ça dérange son ego fragile. Il te demande de “rester proactif” pendant qu’il creuse ta tombe à coups de tableaux Excel couleur vomi.

C’est aussi un amateur de “feedback”. Il ne donne pas d’ordre, il “suggère fermement”. Il ne t’humilie pas, il “t’invite à réfléchir sur tes axes d’amélioration”. Et pendant ce temps, toi, tu te liquéfies lentement sur ta chaise ergonomique en plastique dur, comme une glace oubliée dans une salle de réunion sans fenêtres.

Et puis il y a ce moment où il joue au sauveur. Après t’avoir méthodiquement broyé, il te dit “je suis là si t’as besoin de parler”. C’est comme si Dracula t’offrait une transfusion après t’avoir vidé. Merci Jean-Mi, mais j’ai déjà donné. Mon sang. Ma santé mentale. Ma dignité. Et mes tickets resto.

Ce type, c’est pas un manager. C’est un illusionniste sadique, un prestidigitateur de la souffrance, un artisan de la dépression corporate. Il te vend du rêve, et il livre du cauchemar. Le tout avec un badge nominatif et une boîte à stylos personnalisée.

Chapitre 5 – La France, ce centre d’engraissage pour burnoutés : comparaison non scientifique avec un élevage de poulets sous LSD

Ah, la France. Son vin, ses fromages, ses grèves, et ses salariés à deux doigts de s’auto-incendier dans les toilettes de l’open space. Derrière les façades haussmanniennes et les slides “Feel Good @ Work” se cache une réalité aussi glamour qu’une usine de nuggets : la France est devenue une étable à burnout, une batterie humaine où les employés vivent entre deux deadlines comme des poulets sous stroboscope.

Imagine une ferme industrielle. Les poules sont serrées les unes contre les autres, éclairées en continu pour pondre plus vite, avec une musique d’ambiance pour simuler un environnement naturel. Remplace les poules par des humains, la lumière par des néons, et la musique par des notifications Slack, et tu obtiens : l’open space moderne. Bienvenue dans l’élevage intensif du travail mental.

Le pire, c’est qu’on fait ça avec le sourire. En France, la souffrance au travail est un art de vivre. On en parle à la pause café, on la compare, on la hiérarchise. “T’as bossé ce week-end ? Pfff... amateur, moi j’ai fait 14h d’affilée mercredi, j’ai pissé du sang, et mon œil droit ne cligne plus.” La douleur est devenue une monnaie de valeur. Tu veux grimper dans la hiérarchie ? Sois au bord de l’apoplexie en silence. Crève, mais crève élégamment.

Et dans tout ça, les autres pays nous regardent avec des jumelles. Les Danois, par exemple, terminent leur journée à 16h pour aller faire du paddle en famille, pendant que nous, on mange des sandwichs triangulaires devant nos écrans, avec la grâce d’un lapin myxomateux. Eux ont compris que le travail est un moyen, pas une religion. Nous, on a canonisé le stress. On l’a inscrit dans la Constitution sous forme de réforme perpétuelle.

En France, on mesure ton engagement à ta capacité à encaisser. T’as des cernes ? Bravo, tu bosses bien. T’as fait un malaise ? C’est que t’es impliqué. Tu fais une crise d’angoisse en lisant un mail de ton manager ? Félicitations, tu vas sûrement avoir une promotion. Ou un cancer, c’est selon.

Et les dirigeants, eux, continuent de croire que tout va bien. Ils regardent les chiffres, les KPIs, les taux de performance, pendant que leurs employés s’effondrent en douce dans les escaliers. La France produit du PIB et des dépressions, en flux tendu. C’est une machine qui transforme les rêves en burn-out, les vocations en épuisement, et les salariés en ruines élégantes.

Alors oui, peut-être qu’on devrait arrêter de comparer les humains à des poulets. Parce qu’à ce rythme-là, les poulets, au moins, ont encore une chance d’être libérés par L214. Nous, on attend juste le prochain séminaire de team building à la con, où on t’apprendra à respirer pendant que ton âme clignote “batterie faible”.

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