“Agadir ? Sérieusement ?” – ou comment une ville qu’on croit plate devient un tremplin existentiel
Agadir. Rien que le nom provoque un haussement d’épaules chez le voyageur averti. Trop moderne. Trop lisse. Trop "reconstruite". Pas assez d’histoire, disent-ils. Pas assez de charme, ronronnent les guides. Et pourtant...
Agadir, c’est la fille discrète qu’on regarde à peine en soirée, avant de se rendre compte qu’elle vous a écouté toute la nuit. C’est la ville qu’on croit traverser sans conséquence, et qui vous dépose au fond de vous-même sans prévenir. Parce qu’à Agadir, tout est dérobé : les ruelles n’ont pas de nom, les couchers de soleil n’ont pas d’horaires, et même les souvenirs semblent s’évaporer comme un mirage.
Ce n’est pas Marrakech. Ce n’est pas Essaouira. Ce n’est rien de ce que tu crois savoir. Et c’est ça, sa puissance. Elle t’attend là où tu ne veux pas aller : dans les interstices, les regards, les silences de vendeuses de pain et les rides des pêcheurs. Agadir est une ville qui n’a pas de vitrine, mais beaucoup de coulisses. Et c’est dans ces coulisses que je t’emmène.
J’ai convoqué des experts autoproclamés : amoureuses transies, voyageurs désabusés, locaux en colère, philosophes de trottoir, activistes marginaux, rageux d’Instagram et mystiques du rien. Chacun m’a donné un bout de vision, un éclat de vérité, un poing dans la figure. Et j’en ai fait un plan. Un vrai. Un plan qui bouscule, qui gratte, qui émeut.
Tu crois que tu vas visiter Agadir ? Non. Tu vas te visiter toi-même en passant par elle.
Tu crois que tu vas te détendre ? Tu vas te désorienter.
Tu crois que tu vas juste prendre un taxi ? Tu vas changer de dimension.
Accroche-toi. Ce n’est pas un article. C’est un saut dans l’invisible.
Prends une grande inspiration. On part.
1. Les fausses plages d’Agadir : pourquoi les plus belles photos viennent d’endroits que personne ne montre
Tu crois connaître la plage d’Agadir ? C’est que tu n’as pas encore compris qu’elle te ment. Lisse, immense, propre, bien peignée comme une pub pour un shampooing vegan. Elle est belle, oui. Mais vide. Vide d’accident, vide de mystère, vide d’imprévu. Et surtout : elle ressemble à toutes les autres plages du monde. C’est ça le piège. Elle est photogénique, mais pas mémorable.
Maintenant, écoute bien : les plus belles plages d’Agadir ne sont pas dans les guides. Elles sont aux marges, aux franges, là où les dunes mordent encore le goudron. Des petites criques vers Anza, des bouts de sable noir coincés entre deux falaises, ou ces plages du nord que les surfeurs locaux gardent secrètes. Là, l’eau est parfois sale. Les vagues, méchantes. Les chiens, errants. Mais la lumière… la lumière est un secret.
Un photographe fauché m’a dit un truc qui m’a foutu une claque :
“La plage d’Agadir, c’est comme un selfie. Mais si tu veux un portrait, va à l’endroit que les cartes postales évitent.”
Alors j’ai pris un taxi. J’ai demandé au chauffeur de m’emmener là où il ne voudrait jamais amener un touriste. Il a ri. Il m’a montré ses dents. Il a conduit 17 minutes vers le nord. J’ai vu une plage sans nom, sans route, avec un vieux cabanon. Il n’y avait personne. Juste le vent. Et un enfant qui pêchait à la bouteille.
Je n’ai pas pris de photo. Parce que j’ai compris que certaines plages sont trop vraies pour être réduites à un format carré.
2. Rencontrer les invisibles : ces femmes qui tressent des paniers dans l’ombre du souk et changent ta vision du voyage
Au Souk El Had, tout le monde regarde la même chose : les pyramides d’épices, les babouches flashy, les fausses montres Rolex et les sacs “Louis Vuiton” avec une faute quelque part. Les touristes déambulent, photographient, marchandent, rient, repartent. Et pendant ce temps-là, dans les angles morts, elles sont là.
Des femmes assises par terre, souvent en silence, les yeux baissés, les mains occupées. Elles tressent. Du jonc, de la corde, des feuilles de palmier, ce qu’elles trouvent. Des paniers, des nattes, des objets utiles, solides, durables. Rien de "tendance". Juste ce que le monde oublie de regarder.
Je me suis assis à côté d’elles. Je n’ai rien dit. Juste observé.
Puis une m’a parlé, doucement, sans me regarder :
“Tu viens voir ce qu’on fait. Mais est-ce que tu viens voir qui on est ?”
Et là, boum. La claque existentielle.
Parce que dans leurs gestes, il y avait une mémoire ancestrale, une forme de résistance calme, un refus de disparaître malgré l'indifférence.
L’une d’elles m’a tendu un panier. Tressé de manière si précise que j’ai cru y voir un mandala. Je l’ai acheté. Elle m’a dit le prix. Trois fois rien.
Je lui ai donné plus. Elle a refusé. Fier. Droit. Inflexible.
Alors j’ai compris : ici, ce n’est pas de l’artisanat, c’est une prière en fibre végétale.
Ces femmes sont la colonne vertébrale de ce que le tourisme oublie. Si tu passes à côté d’elles sans t’arrêter, tu n’as pas visité Agadir. Tu l’as simplement survolée avec un portefeuille.
3. Se perdre exprès dans les ruelles sans nom : l’art de désapprendre Google Maps pour retrouver le vrai monde
Il y a quelque chose de profondément insultant dans notre manière moderne de voyager : on refuse de se perdre. On trace des itinéraires, on consulte des cartes, on suit des étoiles notées sur TripAdvisor, on laisse Google nous tenir la main comme un enfant apeuré. Résultat : on passe partout sans jamais vraiment être quelque part.
Mais à Agadir, j’ai appris à faire l’inverse.
Je me suis dit : « Et si je laissais mon téléphone à l’hôtel ? Et si je marchais, juste pour voir où ça m’emmène ? »
Agadir est parfaite pour ça. Pourquoi ? Parce que ses ruelles sont non cartographiées émotionnellement. Il y a des quartiers entiers – Talborjt, Dakhla, les anciens coins industriels près d’Inezgane – où rien n’est prévu pour toi, rien n’est optimisé pour le voyageur. Et c’est là que tout commence.
J’ai erré dans des quartiers qui sentaient la sardine, la lessive, la poussière chaude. J’ai traversé un terrain vague où des enfants jouaient au foot avec une balle crevée et un vieux mec grattait sa guitare à trois cordes. Il ne savait jouer qu’un seul morceau. Il le jouait en boucle. J’ai écouté. Longtemps. C’était… parfait.
Un sociologue m’a dit un jour :
“La ville commence à exister quand tu t’y perds et que tu y trouves un sens.”
Et Agadir, justement, n’a pas de centre-ville identifiable. Elle est comme une pensée désorganisée : ceux qui cherchent un sens trop vite n’y verront rien. Ceux qui lâchent prise… eux, trouvent.
Donc voilà le défi : sors sans but, sans app. Demande ton chemin à des inconnus. Ne suis pas leurs conseils. Va là où tu n’avais aucune raison d’aller.
Et là, peut-être… tu comprendras que se perdre, c’est parfois se retrouver sans prévenir.
4. Les rooftops oubliés d’Agadir : ces lieux perchés qui offrent plus qu’un panorama – une philosophie
Les toits d’Agadir ne sont pas faits pour les touristes. Ils sont faits pour sécher du linge, observer les voisins, capter un semblant de réseau, ou regarder la mer sans en avoir les moyens. Mais ce sont les seuls endroits de la ville où l’on peut penser droit.
Je suis monté sur un rooftop par accident, invité par un gars qui vendait des cacahuètes devant un garage. Il m’a dit : “Tu veux voir la vraie ville ? Viens fumer un clope sur mon toit.” C’est là-haut que j’ai compris.
D’en bas, Agadir est horizontale, écrasée, un peu plate. Mais d’en haut… elle devient un patchwork vivant, une poésie de béton peint, de paraboles rouillées, de tapis qui sèchent et de chats qui règnent comme des dieux. Tu vois la mer, les collines, les échos du tremblement de terre de 1960 gravés dans les bâtiments récents. Tu entends les voix, les appels à la prière, les enfants qui hurlent et les vieux qui râlent.
Un ancien boxeur devenu gardien de parking m’a dit un truc qui m’a retourné le cerveau :
“Quand tu prends de la hauteur ici, tu ne regardes pas Agadir. Tu regardes ta propre idée du voyage.”
Et c’est vrai. Sur les rooftops, il n’y a pas de décor touristique. Il n’y a que le vrai, le brut, le chaud, l’ordinaire merveilleux.
C’est aussi là que j’ai rencontré une femme qui lisait le Coran à voix haute tout en tournant le couscous. Elle ne m’a pas regardé. Mais elle a dit :
“Si tu restes assez longtemps, tu verras les oiseaux. Ils ont les secrets de la ville.”
Alors maintenant, moi je te dis : va sur les toits. Grimpe les escaliers des cafés mal éclairés, demande l’accès aux terrasses de petits hôtels, ose sonner chez l’inconnu qui boit son thé sur une chaise en plastique. Tu verras. Ce ne sont pas des points de vue. Ce sont des stations de révélation.
5. La mer sans y entrer : méditer face aux vagues avec les vieux pêcheurs silencieux
On croit toujours que la mer, c’est fait pour se baigner, jouer, surfer, s’éclater. Mais à Agadir, la mer est d’abord un théâtre d’observation. Et ceux qui la comprennent le mieux n’y mettent plus les pieds. Ce sont les vieux. Les silencieux. Les hommes assis sur les digues, le bonnet vissé sur le crâne, les yeux plissés par le sel et les souvenirs.
Je me suis assis à côté d’eux. Un matin. Rien ne se passait. Pas de musique, pas de selfie stick, pas de vendeurs. Juste le vent et les mouettes arrogantes. J’ai voulu parler. Le vieux à ma droite m’a lancé un regard qui disait : “Tu vois pas que je travaille ?”
Mais il ne faisait rien. Il regardait les vagues.
Et là, j’ai compris : ce “rien” était tout.
Il m’a laissé rester. Et pendant une heure, je l’ai imité. Observer la mer comme on lit un livre ancien, sans comprendre toutes les phrases mais en sentant qu’il y a un sens, quelque part.
Puis il m’a murmuré, sans me regarder :
“Toi, tu viens de loin pour voir ce qu’on regarde tous les jours. Mais nous, on regarde pour oublier ce qu’on ne verra jamais.”
J’ai senti un frisson. Un truc qui ressemble à de la vérité.
Parce que oui, on croit que contempler, c’est passif. Mais ici, c’est un acte de résistance. Ne pas consommer. Ne pas performer. Juste être.
Alors je te lance un défi : un matin, sans but, va t’asseoir sur le port, ou sur une pierre à Anza, ou près du mur de la Marina. Ne fais rien. Regarde. Respire. Laisse la mer penser à ta place.
Si tu tiens une heure sans toucher ton téléphone, tu n’es pas en vacances. Tu es en réanimation de l’âme.
6. Sortir d’Agadir pour mieux y entrer : les évasions en taxi vers l’absurde beauté du rien
Tu crois que tu vas comprendre Agadir en restant dedans ? Tu rêves. Agadir, c’est comme un miroir sans reflet : pour le voir, faut reculer. Faut partir. Et puis revenir, différent. C’est là que les pièces du puzzle s’assemblent.
Alors voilà ce que j’ai fait. J’ai levé la main à un carrefour. Taxi collectif. Chauffeur blasé. Deux mamies, un mec qui mangeait un œuf dur, une adolescente avec du khôl jusqu’aux oreilles.
“Vous allez où ?”
“On sait pas. Toi, tu veux aller où ?”
“Je veux aller… loin sans que ce soit loin.”
Ils ont ri. Ils ont dit : “Monte.”
On est partis. Vers l’arrière-pays. Pas loin. Dix, quinze, trente minutes peut-être. On a traversé des zones sans nom, des routes qui font semblant d’aller quelque part. On a vu des champs, des chèvres, des stations-service oubliées par le GPS. Et puis, on s’est arrêtés devant un café vide qui servait du thé trop fort et des beignets trop gras. Parfait.
Un gars y jouait aux cartes contre lui-même. Je lui ai demandé ce qu’il faisait là, au milieu de nulle part.
“J’attends que rien devienne quelque chose.”
J’ai eu envie de l’applaudir.
Ces échappées absurdes, ces demi-errances en taxi sans but, ce sont des rituels d’initiation.
Sortir d’Agadir, même un petit peu, c’est comme sortir de ta tête. C’est voir que la ville est entourée d’un monde qui respire sans public, qui n’a rien à vendre, rien à montrer. Juste à être.
Et quand tu reviens… ah, quand tu reviens…
Tu vois Agadir autrement. Moins comme une destination. Plus comme un état d’esprit.
7. Le cimetière marin : là où la ville parle à ses morts, et où le silence devient une aventure
Ce n’est pas indiqué sur les cartes. Il n’y a pas de flèche, pas de panneau "à ne pas manquer". Et pourtant… il est là, posé face à l’océan, comme si la ville avait décidé de faire face à l’infini avec ses morts comme dernier rempart. Le cimetière marin d’Agadir.
Pas de monument grandiloquent. Juste des pierres blanches, sobres, alignées en une géométrie calme. Le vent y souffle autrement. Il ne bouscule pas, il chuchote. Comme si les tombes murmuraient aux vivants : “Vous êtes pressés, mais nous, on a tout le temps.”
J’ai marché entre les allées. Personne. Même les oiseaux se taisaient.
Puis, comme sorti du sol, un vieil homme m’a salué. Il venait entretenir la tombe de son frère. Il m’a regardé comme on regarde un fantôme en sens inverse.
“Tu viens chercher quoi ici ?”
“Le silence.”
“Alors écoute-le. Il parle.”
Et c’est vrai.
Dans ce lieu, il n’y a plus de distraction. Plus d’esthétique. Plus d’agitation. Juste toi, face à l’océan, et les morts pour témoins.
Le plus fou ? Ce n’est pas glauque. Ce n’est pas triste. C’est apaisant.
Parce que tu sens que la ville, ici, a une mémoire invisible.
Et que même les villes dites “nouvelles” ont un passé. Il est juste enterré.
Si tu veux une sortie vraiment dérangeante, vraiment calme, vraiment bouleversante : va là. Reste assis. Laisse le vent te parler. Tu verras, c’est plus fort que la méditation guidée à 129€ l’heure.
Et puis, quand tu sortiras, tout te semblera plus intense : la vie, le bruit, la lumière.
Parce que tu auras vu Agadir là où elle ne fait pas semblant.
8. Taghazout, mais sans les influenceurs : 3 façons d’y aller autrement et d’en revenir transformé
Taghazout. Ah, le fameux “petit paradis des surfeurs”. Hashtag #surftrip, #sunsetlovers, #digitalnomad. Et surtout : hashtag faux-semblants. Parce que ce village côtier, autrefois pépite cachée, est devenu une succursale d’Instagram, où les cafés vendent plus de smoothie bowls que de tajines.
Mais attends. Il reste des failles. Des brèches dans le vernis. Des façons d’y aller autrement. Je t’en donne trois. Gratos. Sans filtre.
1. En y arrivant à pied, par les collines.
Prends un taxi jusqu’à Aourir, puis perds-toi dans les petits chemins de terre qui montent vers les hauteurs. Tu longeras des arganiers tordus, des maisons en parpaings oubliées par la modernité, et des gamins qui te demanderont pas d’argent, mais ton prénom. Tu verras Taghazout d’en haut. Et tu comprendras que ce qui est beau, c’est pas le village. C’est l’approche.
2. En y allant à l’aube, quand le monde dort encore.
Pas de bruit. Pas de boardshort. Juste les pêcheurs qui rentrent, les chats qui s’étirent, et le vent qui parle vrai. Va t’asseoir sur la digue. Regarde la mer avant qu’elle ne devienne un décor. Tu verras, à 6h, Taghazout n’est pas un spot. C’est un souffle.
3. En repartant par l’intérieur, sans prévenir.
Ne reprends pas la route côtière. Marche vers les terres, prends le premier pick-up qui passe. Tu traverseras des douars, des silences, des endroits où personne ne t’attend. C’est là que le voyage commence : quand tu quittes un endroit à contre-sens.
Un vieux du coin m’a dit :
“Taghazout, c’est comme une jolie fille très maquillée. Si tu veux la vérité, faut la voir au réveil.”
Tu vois l’idée.
Alors oui, tu peux aller à Taghazout. Mais pas pour jouer au touriste cool.
Va t’y perdre. Va t’y taire. Va t’y foutre la paix.
9. Imouzzer et les routes qui tournent : perdre son estomac pour mieux retrouver son âme
Imouzzer. Ce nom claque comme un mystère. Et pour y aller, il faut mériter le vertige. La route est une spirale, une épreuve pour les estomacs faibles et les cerveaux rigides. Elle monte, elle tourne, elle se fout de ton confort. À chaque virage, la ville d’Agadir disparaît un peu plus, et le monde devient brut, minéral, immense.
Je suis monté là-haut un jour de chaleur douce, dans un vieux taxi Mercedes couleur poussière, conduit par un gars qui jurait en berbère à chaque nid-de-poule. Sur le siège arrière, un poulet vivant attaché dans un sac en plastique m’a tenu compagnie.
“C’est pour ma sœur,” m’a dit le chauffeur.
“Le poulet ou moi ?”
Il a ri. C’était bon signe.
Et puis soudain, après 1h de routes en lacet, Imouzzer. Un village posé entre montagnes et cascades, mais surtout… le silence. Celui qui s’installe quand la 4G meurt, quand les publicités s’éteignent, quand il ne reste que toi, la pierre, l’air, et la conscience.
J’ai vu une vieille femme cueillir des herbes en chantant. J’ai croisé un jeune mec qui sculptait du bois à mains nues. J’ai bu un jus d’amande si dense que j’ai failli le mâcher.
Et surtout, j’ai rien fait pendant deux heures. Juste respiré.
Et ça, ça m’a changé.
Un môme m’a dit en me voyant respirer profondément :
“T’as jamais fait ça avant, hein ?”
Il avait raison.
Imouzzer, c’est le lieu où tu comprends que le voyage n’est pas dans la destination, mais dans la lenteur qu’on s’autorise.
Alors prends un taxi. Laisse ton estomac se débrouiller. Et quand tu y seras, ne cherche rien.
C’est le rien qui te trouvera.
10. La palmeraie de Tiout : quand l’ombre des dattiers raconte des contes que personne n’écrit
La première chose qu’on te dit sur Tiout, c’est que c’est "une palmeraie traditionnelle". C’est faux.
Tiout, c’est une faille temporelle. Un trou dans le continuum de ton agenda où plus rien n’a d’importance. Sauf le bruissement des feuilles. Et la lenteur des choses bien faites.
J’y suis allé avec un chauffeur de taxi qui parlait en proverbes.
“Si tu veux aller vite, va seul. Si tu veux aller loin… oublie Waze.”
Il m’a déposé à l’entrée du village, puis a disparu. Pas de réseau. Pas de plan. Juste moi et des palmiers aussi hauts que des cathédrales.
Tu marches, et tout est vert, tout est frais, tout est précaire et solide à la fois. L’eau s’écoule dans les petits canaux d’irrigation comme un murmure ancien. Des enfants te saluent sans te vendre un truc. Des femmes passent avec des ânes chargés de feuillage. Et dans une petite maisonnette en terre, une vieille dame m’a offert un couscous sans me poser une seule question. Elle m’a juste dit :
“Ici, on ne pose pas les gens. On les laisse respirer.”
Tiout n’a pas de boutique souvenir. Tiout n’a pas d’hôtel Instagrammable.
Mais Tiout a une sagesse climatique. Il fait chaud, mais l’ombre des dattiers est une bénédiction. Tu comprends qu’on peut vivre lentement, dignement, sans surjouer la tradition.
Et si tu lèves la tête, entre deux feuilles, tu verras les contes non écrits : une chèvre perchée là où elle ne devrait pas être, un vieil homme assis comme une légende, un silence plus dense que mille mots.
Tiout, c’est ce que le tourisme essaie parfois d’imiter, sans jamais l’égaler.
Parce qu’ici, le miracle n’est pas organisé. Il pousse tout seul.
11. Tamri et ses bananes : goûter le fruit du vrai, pas celui de la carte postale
Tamri. Ce nom a une saveur particulière. Celle de la banane qui n’a jamais pris l’avion, celle qu’on mange avec les doigts, sur place, dans un coin de bouche plein de sable. À 45 minutes au nord d’Agadir, entre les falaises et l’Atlantique, Tamri vit au rythme des régimes de bananiers. Et des silences puissants qu’on ne vend pas en brochure.
Ici, on ne fait pas semblant. Les routes sont cabossées, les étals sont rustiques, et les bananes... elles ne sont pas calibrées pour l’export. Elles ont la peau tachetée, le goût sucré comme un secret, et la taille qu’elles veulent. C’est ça, la liberté par le fruit.
Je me suis arrêté au hasard, dans une échoppe qui tenait debout par la grâce d’un miracle architectural (et deux clous rouillés). Un vieil homme m’a tendu une banane en me regardant comme s’il m’offrait un trésor. J’ai croqué. Pas de comparaison possible.
“Celle-là, mon fils, elle n’a pas vu de frigo ni de marketing.”
Il riait, édenté. J’ai ri aussi. C’était le goût du vrai.
Mais Tamri, ce n’est pas qu’un fruit. C’est un paysage. Une ambiance. Une lumière ocre qui s’écrase sur les plantations, un air qui sent la mer et la terre humide, un sentiment étrange de fin du monde tranquille. Les locaux vivent là comme si le progrès avait fait demi-tour. Et franchement ? Tant mieux.
Tu veux une vraie sortie touristique ?
Alors va à Tamri. Mange une banane. Regarde la mer.
Et demande-toi : est-ce que j’ai déjà goûté un endroit aussi honnête ?
12. Aourir le mercredi matin : le seul souk où tu peux discuter d’odeur d’olive et de politique locale dans le même souffle
Il y a des marchés où on vient pour acheter. Et il y a Aourir le mercredi, où on vient pour vivre une dissertation en plein air, en même temps qu’on cherche une botte de coriandre. Situé à quelques kilomètres au nord d’Agadir, ce souk hebdomadaire est le cerveau bouillonnant du littoral, planqué sous des toiles trouées et des cris bien vivants.
Ici, tout le monde parle fort, pense fort, vit fort.
Un gars vendait des olives en jurant que les vertes étaient corrompues par l’administration. J’ai cru à une métaphore.
“Non, vraiment, elles viennent d’un champ tenu par le beau-frère du caïd.”
J’ai acheté un kilo, par soutien révolutionnaire.
Un peu plus loin, un vendeur de tapis berbères m’a expliqué le scrutin municipal de 2021 pendant que je caressais un coussin. Il a ponctué son analyse politique d’un prix promo si je prenais deux. J’ai pris zéro, mais j’ai appris beaucoup.
Le souk d’Aourir, c’est la BBC en djellaba, un agora vivante, un lieu où les théories économiques croisent les potins de quartier, et où l’on peut s’engueuler sur le prix des œufs et la Constitution dans la même minute.
Mais ce n’est pas que cérébral. C’est aussi sensoriel. L’odeur des olives marinées, du pain chaud, des sardines frites, du cuir fraîchement tanné… Tu sors de là avec les narines en transe et les idées en feu.
Et puis, il y a les gens. Tous les gens.
Des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des Marocains, des étrangers intégrés, des surfeurs un peu perdus, des éleveurs un peu philosophes.
Aourir le mercredi matin, c’est le seul endroit où ton cerveau et ton estomac peuvent tomber amoureux en même temps.
13. Les carrières d’argile d’Ikounka : là où les enfants modelaient le monde à mains nues
Tu ne trouveras pas Ikounka sur les guides, ni sur les comptes TikTok des pseudo-globetrotteurs. C’est trop nu, trop rugueux, trop vrai.
À quelques kilomètres seulement d’Agadir, en bordure de la ville et de la mémoire, Ikounka est un territoire lunaire où l’argile affleure, rouge et vivante, comme si la terre elle-même voulait raconter un truc.
Quand j’y suis allé, il n’y avait pas de portail, pas d’horaires, pas de panneau. Juste un creux dans le paysage, et des silhouettes qui bougeaient lentement, entre poussière et soleil. Des enfants, surtout. Torse nu, pieds nus, mains pleines. Ils modelaient. Des formes étranges. Des bonshommes tordus. Des monstres. Des chameaux difformes. Des voitures en croûte.
“C’est quoi ?”
“C’est tout.”
Pas d’atelier, pas d’animation pédagogique.
Juste l’acte brut de créer avec ce qu’on a sous la peau des doigts.
Un vieil homme m’a raconté que, plus jeune, lui aussi venait sculpter ici. Il a même fabriqué une fois une tête géante qui ressemblait à son père.
“Je l’ai laissée là. La pluie l’a bouffée. Et c’est bien comme ça.”
Ici, rien ne dure. Rien ne s’achète. Mais tout existe très fort, le temps que ça existe.
Il y a quelque chose de mystique dans cette argile. Une énergie brute. Une mémoire en poussière. Et ces enfants qui sculptent sans modèle, sans finalité, rappellent au monde que créer, c’est parfois juste habiter le présent avec ses mains.
Si tu veux visiter un lieu vraiment “instagrammable”, Ikounka n’est pas pour toi.
Mais si tu veux te rappeler pourquoi tu avais, un jour, envie de toucher la matière du monde… alors vas-y. Observe. Ne dis rien. Et laisse-toi envahir.
14. Anza et ses dinosaures : quand le béton recouvre les empreintes du mystère
Anza, tu y passes sans la voir. Coincée entre Agadir et les collines industrielles, écrasée par les fumées et les grues. Mais arrête-toi. Vraiment. Parce qu’à Anza, le sol parle plus fort que les murs. Littéralement.
Sur la plage, à marée basse, tu peux voir… des empreintes.
Pas humaines. Pas actuelles. Des traces de dinosaures. Réelles. Fossilisées. Millénaires.
Elles marchent dans la pierre, comme une signature laissée par le mystère.
Et tu sais quoi ? Elles sont presque invisibles. Et surtout, elles dérangent.
Pourquoi ? Parce qu’autour, on construit. On rase. On bétonne.
Un militant local m’a dit :
“Ici, la ville est en train d’effacer ce que le temps avait gravé.”
Il m’a montré les marques : certaines abîmées, d’autres intactes, des pas d’un autre monde, là sous nos pieds, que personne ne signale.
Aucune protection, aucun musée. Juste la pierre, la marée, le vent… et l’indifférence.
Anza, c’est le plus beau paradoxe d’Agadir : un lieu où le passé préhistorique cohabite avec le bruit des camions. Où les preuves de l’ancien monde gisent dans la boue du monde moderne.
Mais si tu y vas, si tu regardes bien, si tu écoutes la roche… tu peux ressentir une chose rare : le vertige de l’échelle du temps.
Tu n’es qu’un souffle. Un battement. Un pas minuscule.
Et c’est peut-être ça, la vraie spiritualité. Pas un temple. Pas une mosquée. Juste une empreinte laissée il y a 120 millions d’années, sur laquelle tu poses ton pied.
Alors ouais. Va à Anza. Et n’attends pas qu’on t’y emmène.
Parce que le passé, ici, ne fait pas de bruit. Et le futur bétonne vite.
15. Le Crocoparc… mais la nuit : parce qu’un crocodile dans l’ombre, c’est autre chose qu’un selfie en plein jour
Tu connais sûrement le Crocoparc. Le parc à crocodiles tout mignon, tout bien foutu, avec ses allées propres, ses petites pancartes éducatives, ses coins photo parfaitement éclairés. Le genre de lieu qui rassure papa, amuse les enfants, et offre des likes sans douleur.
Mais tout ça, c’est de jour. Et de jour, un crocodile, ça ressemble à un gros sac à main qui respire.
Mais la nuit… la nuit, mon ami, le Crocoparc devient un poème sous tension.
Une fois, j’ai assisté à une visite nocturne. Ils n’en font pas souvent. Faut tomber dessus.
Et là, magie noire. Littéralement.
Les allées deviennent des sentiers silencieux. Les arbres chuchotent. Les lampes frontales tremblent. Et les crocodiles… ne dorment pas.
Ils bougent. Lentement. Sournoisement. Leurs yeux brillent comme des braises. Leur silence devient oppressant. Tu ne regardes plus un animal. Tu ressens une présence. Une menace ancienne.
Une touriste gothique que j’ai croisée ce soir-là m’a chuchoté :
“De jour, ils font partie du décor. De nuit, tu fais partie de leur monde.”
Elle avait raison. À 22h, entouré de reptiles immobiles mais prêts à bondir, tu te sens redevenir proie.
C’est un genre de spiritualité primitive. Une immersion dans le bas de la chaîne alimentaire.
Et bizarrement, ça fait du bien.
Parce qu’on oublie, dans notre confort climatisé, qu’on est fragiles. Qu’on est mortels.
Et qu’il suffit d’un regard à l’ombre d’un bassin… pour s’en rappeler.
Alors oui, le Crocoparc est cool de jour. Mais de nuit, c’est une expérience initiatique.
16. Un coucher de soleil depuis le flanc de la Kasbah… mais sans photo, sans mots, juste pour voir si t’es encore capable de rien faire.
Voilà un défi. Un vrai. Un que tu ne liras dans aucun guide, parce que les guides n’osent pas te faire honte. Moi, si.
Es-tu encore capable de vivre un moment sublime… sans le capturer ?
Sans le publier. Sans le raconter. Sans le montrer. Juste le vivre.
Monte au flanc de la vieille Kasbah, celle qui surplombe Agadir, là où il ne reste qu’un mur, un silence, un regard vers l’Atlantique. Viens en fin de journée. Quand le vent se lève doucement. Quand la lumière commence à basculer dans le doré. Quand le ciel hésite entre l’incendie et la paix.
Assieds-toi. Éteins ton téléphone. Range-le. Ne regarde pas ta montre.
Et là, fais… rien.
Pas de pensée utile. Pas de checklist. Pas de “tiens c’est joli”.
Regarde juste le monde mourir doucement pour renaître dans la nuit.
Tu vas voir, c’est pas facile.
Ton esprit va gigoter comme un enfant hyperactif privé de tablette. Tu vas vouloir immortaliser l’instant, le partager, le commenter.
Résiste.
Parce que ce coucher de soleil, là, sur les ruines, au-dessus de la ville qui clignote… il est pour toi seul. Il n’a pas besoin d’audience.
Et peut-être que, dans ce rien-là, tu sentiras enfin quelque chose que t’avais oublié :
le luxe absolu d’un instant qui n’appartient qu’à toi.
Tu peux pleurer. Tu peux sourire. Tu peux t’ennuyer.
Mais tu dois juste… être là.
Et quand ce sera fini, quand la nuit aura tout englouti, tu te relèveras un peu différent.
Peut-être pas plus sage. Mais plus vivant.
17. Les pièges à touristes… à savourer quand même : parce que parfois, jouer le touriste, c’est aussi un acte de lâcher-prise
Ah, les pièges à touristes. Ces restaurants aux nappes plastifiées, ces calèches qui sentent la nostalgie frelatée, ces vendeurs de babioles avec des “prix spéciaux juste pour toi, mon ami”.
On nous dit de les éviter. De les mépriser. De les fuir comme la peste.
Mais si je te disais que parfois, tomber dans le panneau, c’est une forme de sagesse ?
Un jour, fatigué, j’ai cédé. J’ai pris une assiette de poisson grillé dans un resto avec un nom en anglais, des photos sur le menu, et un serveur trop sympa pour être vrai.
C’était pas incroyable.
Mais c’était doux.
On m’a servi trop vite. La musique était nulle. Mais autour, les familles riaient. Les enfants couraient. Les gens se détendaient. Et moi aussi.
Parce que parfois, jouer au touriste, c’est arrêter de vouloir prouver qu’on est au-dessus.
C’est se laisser porter. Se fondre. Se foutre la paix.
Un anarchiste du voyage que j’ai rencontré au bord de la Marina m’a dit :
“J’adore les trucs nazes. Parce qu’ils ne me demandent rien. Et ça, c’est rare.”
Il avait raison. Dans ces pièges, tu n’as pas besoin d’être original. Ni profond. Tu peux juste être… normal.
Et c’est ça le piège le plus beau : celui dans lequel tu acceptes d’être banal, pour une fois.
Sans performance. Sans récit à construire. Juste une bière tiède, un coucher de soleil cliché, un tee-shirt “I love Agadir” qui rétrécira au premier lavage.
Alors vas-y. Prends ce tour en dromadaire. Prends cette photo avec le singe sur l’épaule.
Et surtout, fais-le sans honte.
Parce que parfois, le vrai luxe, c’est de ne rien déconstruire.
18. Les couchers de soleil qui guérissent : pas ceux qu’on prend en photo, mais ceux qu’on vit sans témoin
Tu crois avoir déjà vu un beau coucher de soleil ? Peut-être.
Mais est-ce que tu l’as vraiment ressenti ? Pas regardé. Pas photographié. Ressenti.
À Agadir, il y en a partout. Depuis la plage, depuis les toits, depuis les routes. Mais ceux dont je parle ne sont pas les plus spectaculaires. Ils sont les plus honnêtes. Ce sont les couchers de soleil sans public, sans réaction, sans likes. Ceux que tu vis seul, ou à deux, dans ce moment rare où le monde s’éteint sans prévenir.
J’en ai vécu un, un soir de fatigue. Pas de spot. Pas de plan. Juste un banc, un sandwich au thon, et une boule de feu qui plongeait mollement derrière une colline.
Et là, sans raison, j’ai pleuré.
Pas parce que c’était triste. Parce que c’était juste. Évident. Implacable.
Le jour s’en allait. Sans drame. Sans bruit.
Et moi, je restais là, dans le simple fait d’être vivant.
Une survivante d’un burn-out m’avait dit :
“Je suis venue à Agadir pour mourir un peu. Et ce coucher de soleil m’a rappelé que j’étais encore là.”
Ces couchers-là, ils ne soignent pas comme un médicament.
Ils remettent du calme dans le chaos. Ils reposent les cellules.
Ils te disent : “Tu n’as pas besoin de faire. Tu peux juste être.”
Et franchement, c’est peut-être le plus grand luxe moderne.
Alors la prochaine fois que tu verras le ciel devenir orange, violet, rouge sang, pose ton téléphone. Ferme ta bouche. Ouvre ton cœur.
Et respire.
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