1. Le rire du papillon, ou pourquoi il faut devenir absurdes pour rester humains
âPeut-ĂȘtre que le dernier acte de luciditĂ© sur Terre sera une grimace dâenfant qui parle Ă une marguerite.â
Un jour, un papillon mâa ri au nez. Je te jure. Il a volĂ© en zigzagant autour de moi avec ce genre de lĂ©gĂšretĂ© impardonnable quâon ne voit que chez les ĂȘtres qui ne se demandent jamais sâils sont normaux. Il avait lâair dâun poĂšme en crise dâadolescence, et moi, dâun mammifĂšre adulte stressĂ©, en retard pour rien.
Câest lĂ que jâai compris : pour rester humain, il faut arrĂȘter dâessayer dâavoir lâair logique. La logique, aujourdâhui, câest suspect. Elle fait des missiles propres et des bulletins de salaire tristes. Elle transforme les forĂȘts en colonnes Excel. Elle met des chiffres sur les Ă©motions. Elle fout des normes ISO dans nos rĂȘves.
Alors que lâabsurde ? Ah, lâabsurde ! Câest le dernier bastion de la tendresse non productiviste. Câest danser sous la pluie avec un tuba sur la tĂȘte en criant « Vive la chlorophylle ! » pendant que les autres consultent leur appli de productivitĂ©.
Il ne sâagit pas de devenir fou au sens clinique. Il sâagit de redevenir farfelu. De dire bonjour aux pierres. De saluer les arbres. De murmurer Ă lâoreille des tournesols : « merci dâexister ». Ce nâest pas puĂ©ril. Câest radical. Câest foutrement politique.
Car pendant quâon rit avec les papillons, les puissants sâeffraient. Ils nâaiment pas ceux qui Ă©chappent Ă leurs cases, Ă leurs tableaux, Ă leurs tests de QI, Ă leurs bulletins de vote. Lâhumain absurde ne produit rien de vendable, rien de manipulable. Il est inutile. Et donc libre.
Et si la seule vraie rĂ©sistance aujourdâhui, câĂ©tait de redevenir inutile ?
Parfait. Tu viens de poser la ligne dâor : âš Toucher large, sans diluer. PoĂ©tiser, sans sâendormir. Ătre douce, mais tranchante. Je prends la plume â trempĂ©e dans lâhuile dâolive, lâeau de pluie, et un peu de lave.
2. Plante un palmier dans la tĂȘte de ton ennemi (et arrose-le avec amour)
âCe que tu sĂšmes dans lâesprit de lâautre est plus explosif quâune idĂ©e. SĂšme un palmier. Tu verras.â
Il y a un silence sacrĂ© dans le geste de planter. Quelque chose entre le rituel paĂŻen et la priĂšre de lâathĂ©e. Une maniĂšre de dire : Je ne crois plus en vos systĂšmes, alors je vais croire en une racine.
Planter, câest parler une langue que les puissants nâentendent pas. Et câest ça qui est dĂ©licieux.
Un palmier, par exemple. Ce nâest pas un arbre modeste. Câest une diva vĂ©gĂ©tale. Il pousse droit, haut, insolent. Il ne se cache pas. Il est vertical dans un monde qui rampe.
Alors imagine. Plante un palmier dans la tĂȘte de celui qui tâopprime. Pas un vrai, bien sĂ»r. Mais une idĂ©e-palmier. Une image quâil ne pourra plus enlever de son esprit. Une intuition Ă©trange qui germera lentement, sans quâil sâen aperçoive. Une beautĂ© persistante.
La rĂ©volution douce, câest celle qui ne se voit pas tout de suite. Câest celle qui pousse Ă lâombre dâun doute.
Et puis, arrose. Avec ton rire. Avec tes gestes inutiles. Avec tes silences dĂ©sarmants. LĂ oĂč lâennemi attendait une rĂ©ponse armĂ©e, donne-lui une graine. Pas pour lui faire plaisir. Pour lui changer le climat intĂ©rieur.
Car ce que tu plantes dans lâautre, mĂȘme contre lui, peut un jour le rĂ©veiller. Et sâil ne se rĂ©veille pas ? Ce nâest pas grave. Tu auras semĂ© quelque chose de plus grand que lui. Quelque chose dâancrĂ© dans la terre du monde.
Planter, câest croire. Mais câest surtout refuser de ne croire quâen ce qui rapporte.
Un palmier, câest lent. Il nâentre dans aucun business plan. Mais il fait de lâombre, il donne des fruits, il danse avec le vent.
Alors plante. Dans les interstices. Dans les tĂȘtes dures. Dans les cĆurs calcifiĂ©s. Et mĂȘme sâils crachent dessus, mĂȘme sâils piĂ©tinent, toi tu sauras que sous leurs insultes, une racine sâinstalle.
Et parfois, câest la plus belle vengeance du monde.
3. La beauté est un sabotage lent
âElle nâa rien dit, elle a juste peint une tulipe sur un mur gris. Et tout le systĂšme sâest fissurĂ©.â
La beautĂ© ne fait pas de bruit. Elle se faufile. Elle ne manifeste pas. Elle ne crie pas. Elle entre lĂ oĂč les barricades Ă©chouent : dans les nerfs, dans les regards, dans les souvenirs.
Quand on parle de sabotage, on imagine des explosifs, du feu, des cris, des effondrements visibles. Mais la beautĂ©, elle, sabote Ă lâenvers. Elle Ă©claire lĂ oĂč il faisait nuit depuis longtemps. Et cette lumiĂšre, toute douce, devient intolĂ©rable pour ceux qui gouvernent lâombre.
Tu veux désarmer un monde cynique ? Ne fais pas la guerre. Fais quelque chose de inutilement magnifique.
Cueille des fleurs lĂ oĂč il nây a que bĂ©ton. Peins un ciel Ă©toilĂ© sur un conteneur Ă ordures. Joue du violon Ă la sortie dâun tribunal. Fais danser ton corps lĂ oĂč tout le monde est figĂ© par la peur.
Ce nâest pas une fuite. Câest un acte de rĂ©sistance invisible.
Parce que dans une sociĂ©tĂ© qui ne valorise que ce qui est rentable, crĂ©er du beau sans raison, câest poser une bombe de pollen.
Le beau dérange car il ouvre, et le pouvoir aime ce qui ferme.
Les puissants veulent que tu consommes des images. Mais ils ont peur que tu en produises.
Ils veulent que tu scrolles. Pas que tu sculptes. Que tu likes. Pas que tu peignes. Que tu obéisses au flux. Pas que tu mettes des couleurs sur ta solitude.
CrĂ©er, câest poser un autre monde en surimpression sur celui quâon te vend.
Câest dire : je ne vous crois pas. Je ne crois pas en votre bĂ©ton, votre profit, vos Ă©crans tristes. Je crois en cette feuille qui tremble pour rien. En cette voix qui chante au fond dâun couloir. En cette vieille femme qui tisse encore des napperons, comme si lâunivers Ă©tait fragile et quâil fallait le raccommoder.
Alors sabote. Doucement. Lentement. Esthétiquement.
Et un jour, les murs tomberont. Non parce quâon les a frappĂ©s, mais parce quâils seront devenus affreusement laids face Ă tout ce que nous aurons rendu vivant.
4. Les normopathes gouvernent le monde pendant que les doux hurlent dans les fleurs
âCeux qui se croient sains sont parfois les plus malades. Et ceux quâon croit fous ont juste refusĂ© la camisole invisible.â
Le monde est dirigĂ© par des gens normaux. Ils cochent toutes les cases. Ils parlent sans bĂ©gayer dans les micros. Ils savent quand sourire, quand sâindigner, quand applaudir. Ils dorment la nuit, facturent le jour, mangent sans Ă©motions et disent merci quand la machine leur crache un ticket de caisse.
On les appelle normopathes. Des ĂȘtres tellement bien adaptĂ©s Ă un monde malade quâils en deviennent inquiĂ©tants. Ils sont propres. Effrayants de propretĂ©.
Pendant ce temps-lĂ , il y a les autres. Les doux. Les sensibles. Ceux qui ne savent pas trop oĂč mettre leurs mains dans les conversations. Ceux qui pleurent devant un arbre amputĂ©. Ceux qui fuient les open space comme on fuit une guerre silencieuse.
Et ce sont eux quâon traite de bizarres.
Eux quâon veut rĂ©parer.
Mais rĂ©parer quoi, exactement ? La poĂ©sie dans leurs veines ? Le fait quâils ne sachent pas mentir correctement ? Quâils aient besoin de silence comme dâoxygĂšne ?
Non. Ces gens ne sont pas Ă rĂ©parer. Câest peut-ĂȘtre eux, les vĂ©ritables gardiens de la santĂ© du monde.
Car les normopathes nâont pas de visions. Ils ont des tableaux Excel.
Les doux, eux, hurlent dans les fleurs. Ils chantent en silence. Ils tissent des mondes possibles dans leurs carnets illisibles. Ils voient ce qui pourrait ĂȘtre, alors que tout le monde est hypnotisĂ© par ce qui est.
Et câest ça qui fait peur au pouvoir : Ceux qui ne croient pas Ă la prison mĂȘme quand elle est dorĂ©e.
Le doux est un danger pour lâordre. Pas parce quâil le combat frontalement. Mais parce quâil le dĂ©sactive par dissonance.
Il ne rentre dans aucune case, mĂȘme en se pliant. Il est la note Ă©trange dans une symphonie trop parfaite. Et cette note, une fois entendue, fait tout vaciller.
Alors le systĂšme lâĂ©tiquette. Fou. Asocial. Marginal. Et parfois mĂȘme poĂšte â le pire des dangers.
Car il nây a rien de plus subversif que quelquâun qui refuse dâĂȘtre formatĂ© tout en restant tendre.
5. Ătre seul(e), câest refuser dâappartenir Ă une horde de clones
âJe ne suis pas seul parce que je suis perdu. Je suis seul parce que jâai arrĂȘtĂ© de suivre des foules qui marchent vers lâabĂźme en chantant.â
Il y a un mot que le monde moderne dĂ©teste : solitude. On la confond avec lâĂ©chec. On la traite comme une maladie honteuse. On veut la meubler, la distraire, la couvrir de bruit et de notifications.
Mais la solitude, la vraie, la nue, câest peut-ĂȘtre la forme la plus radicale de libertĂ©.
Car pour ĂȘtre seul(e), il faut dâabord sâarracher Ă la masse. Ă ses habitudes, Ă ses certitudes, Ă ses copies conformes. Il faut avoir le courage de ne plus ressembler Ă rien. Pas mĂȘme Ă soi.
Et câest lĂ que ça commence Ă respirer.
La solitude choisie, câest une zone franche. Un territoire sans logo. Un espace sans algorithme. Un dĂ©sert intĂ©rieur oĂč poussent des idĂ©es quâon ne trouve dans aucune librairie.
Mais ça fait peur. Car en quittant la horde, on quitte aussi les chants de guerre, les slogans, les bras rassurants qui nous disent quoi penser.
Et soudain, on est là . Face au vent. Sans déguisement.
On croit que la solitude casse, mais en vérité, elle déshabille pour révéler.
Ce nâest pas un rejet des autres. Câest un refus de fusionner avec ce qui dĂ©truit notre Ăąme.
Ătre seul(e), ce nâest pas fuir. Câest habiter un espace sacrĂ©, un temps oĂč lâon peut entendre â vraiment â les battements de son propre monde.
Et de lĂ naĂźt la crĂ©ation. Pas les copies. Pas les tendances. Mais les graines uniques, quâaucun collectif nâaurait osĂ© imaginer.
Alors oui, parfois, câest rugueux. Le manque dâĂ©cho, le vide des regards, lâabsence de bras autour du cou. Mais dans cette rugositĂ©, il y a une forme de royautĂ© invisible.
Car le clone ne dĂ©range personne. Mais lâĂȘtre seul(e), lui, trouble le troupeau. Il rappelle que marcher dans le mĂȘme sens nâest pas une preuve de justesse. Juste une preuve de peur.
Et toi ? Quand as-tu marché à contresens pour la derniÚre fois ?
6. Folle de joie ? Ou lucide Ă en pleurer ?
âIl y a des jours oĂč la lumiĂšre me transperce. Je ris sans raison. Et jâai peur quâon me prenne pour une folle. Mais peut-ĂȘtre que je suis juste rĂ©veillĂ©e.â
La joie, dans ce monde, doit ĂȘtre modĂ©rĂ©e, raisonnable, appropriĂ©e. Elle doit entrer dans les cadres, respecter les circonstances. On peut ĂȘtre joyeux Ă un anniversaire, Ă une promotion, Ă NoĂ«l.
Mais ĂȘtre joyeux pour rien ? Ătre submergĂ© par un battement dâailes, un rayon de soleil sur un mur dĂ©crĂ©pit, une fleur qui pousse dans un caniveau ? Ah non. LĂ , câest suspect.
On dira de toi que tu planes. Que tu es perchée. Ou pire : déconnectée de la réalité.
Mais peut-ĂȘtre que la vĂ©ritĂ© est inverse.
Peut-ĂȘtre que ceux qui ne rient jamais sont dĂ©connectĂ©s du miracle permanent qui palpite partout. Peut-ĂȘtre que la vraie folie, câest de ne plus voir la beautĂ©, de passer devant une fleur sans frisson, dâentendre un oiseau sans lever les yeux.
Peut-ĂȘtre quâon nâest pas âfous de joieâ â peut-ĂȘtre quâon est lucides de joie.
Lucides sur le fait que, malgré tout, le monde contient encore des bulles de grùce. Des brÚches de lumiÚre dans le béton des jours. Et que ces brÚches, il faut les célébrer comme des révolutions.
La joie gratuite est une hĂ©rĂ©sie dans un systĂšme qui veut tout comptabiliser. Car elle ne sâachĂšte pas. Elle ne se planifie pas. Elle explose Ă lâendroit prĂ©cis oĂč les attentes sont tombĂ©es.
Et elle est contagieuse. Dangereusement contagieuse. Elle donne envie dâembrasser la vie, mĂȘme bancale. Elle donne envie dâaimer sans conditions. DâĂ©couter des vieux vinyles au lieu de faire des to-do lists.
Alors parfois, oui, je suis folle de joie. Et je lâassume. Câest une folie qui ne dĂ©truit rien, mais qui fertilise. Une exubĂ©rance qui ne cache pas la souffrance, mais qui la transforme.
La joie vraie ne nie pas les tĂ©nĂšbres. Elle les Ă©claire doucement de lâintĂ©rieur.
Et si tu as déjà pleuré en regardant un lever de soleil, tu sais de quoi je parle.
7. Lâhumour noir est la couleur de la rĂ©sistance
âJâai ri en entendant la fin du monde annoncĂ©e Ă la radio. Ce nâest pas que je ne prends pas ça au sĂ©rieux. Câest que mon rire est mon armure.â
Il y a un moment oĂč pleurer devient un luxe. OĂč crier fatigue plus quâil ne soulage. Et alors, il reste une arme silencieuse, tranchante, explosive : le rire noir.
Pas le rire de surface. Pas la blague marketing. Mais celui qui grince, qui gratte, qui dĂ©range. Celui qui Ă©clate lĂ oĂč la peur pensait avoir tout colonisĂ©.
Rire de lâabsurde des puissants, Rire des horloges qui nous pressent, Rire du ministre qui bafouille, Rire du monde qui sâeffondre lentement comme une meringue trop cuite.
Ăa ne veut pas dire quâon sâen fout. Ăa veut dire quâon refuse de mourir sĂ©rieux.
Le rire noir est une forme dâĂ©lĂ©gance dĂ©sespĂ©rĂ©e. Câest un doigt dâhonneur enveloppĂ© dans du velours.
Il y a des gens qui rĂ©sistent en frappant. Dâautres en fuyant. Et puis il y a celles et ceux qui, face au chaos, lĂąchent un fou rire en regardant un pigeon faire des claquettes sur une flaque dâeau. Et dans ce rire, il y a un monde qui refuse de se plier.
Parce que lâhumour, quand il est bien placĂ©, câest du napalm dans une enveloppe parfumĂ©e. Il met Ă nu lâabsurde. Il rĂ©vĂšle les failles. Il fait tomber les masques, les certitudes, les dogmes.
Lâhumour noir, câest lâarme des doux qui en ont marre dâĂȘtre Ă©crasĂ©s, mais qui refusent de devenir durs.
Câest une maniĂšre de dire : âJe vois bien ce que vous essayez de faire. Mais tant que je peux rire, vous ne mâavez pas totalement eu.â
Et quand on rit à plusieurs, dans le noir, on crée une lumiÚre qui ne ressemble à rien de connu. Un éclat qui ouvre des brÚches dans les systÚmes les plus serrés.
Alors rions. Mais pas bĂȘtement. Rions comme on creuse une tranchĂ©e, comme on plante un drapeau invisible au sommet dâune montagne de plastique et de mensonges.
8. Un olivier pousse plus vite quâun tyran ne meurt
âLe tyran veut que tu crois Ă lâurgence. Lâarbre te murmure la patience.â
Il y a des choses que mĂȘme les bombes nâarrivent pas Ă faire taire. Les racines, par exemple.
Tu peux raser un champ, bĂ©tonner un dĂ©sert, brĂ»ler un verger â il y aura toujours une graine tĂȘtue, quelque part, qui dĂ©cidera de recommencer.
Lâolivier, lui, est le plus obstinĂ© des rĂȘveurs. Il pousse lĂ oĂč câest sec, lĂ oĂč câest rude. Il pousse lentement, sans arrogance, comme sâil savait que les civilisations passent mais que les arbres reviennent toujours.
Tu peux enfermer un peuple. Mais pas un olivier. Tu peux censurer un journal. Mais pas une racine. Tu peux effacer des livres dâhistoire. Mais pas une branche qui se tord pour atteindre la lumiĂšre.
Le tyran croit avoir gagnĂ© quand il fait taire les voix. Mais pendant quâil parade dans ses discours, quelquâun plante.
Planter, ce nâest pas naĂŻf. Câest insolent. Câest refuser la logique de la peur. Câest faire un enfant Ă la terre pendant que les chaĂźnes dâinfo parlent dâeffondrement.
Et surtout, câest choisir un autre tempo.
Le tyran agit dans la vitesse. Le jardinier répond dans la durée.
Le tyran veut lâinstant, le choc, la domination. Lâolivier, lui, nâa pas besoin de gagner. Il a juste besoin de vivre. Encore. Et encore. Et encore.
Jâai vu des tyrans tomber. Des statues, des drapeaux, des chants, tout sâĂ©croulait. Mais au mĂȘme endroit, cent ans plus tĂŽt, un olivier avait Ă©tĂ© plantĂ©. Et lui, il Ă©tait toujours lĂ . Pas pour tĂ©moigner. Pour continuer.
Alors plante. MĂȘme si câest illĂ©gal. MĂȘme si on tâarrĂȘte. MĂȘme si ça semble inutile. Plante comme on insulte. Plante comme on espĂšre.
Et un jour, ce sera lâarbre qui fera de lâombre Ă la mĂ©moire du tyran.
9. CrĂ©er câest conspuer â avec des aquarelles
âIl y a des insultes plus douces que des gifles. Un dessin sur un mur, par exemple, qui dit Ă tout un rĂ©gime : âje tâai vu.ââ
On croit souvent que crĂ©er, câest dĂ©corer. Apporter un supplĂ©ment dâĂąme. Mettre un petit vernis poĂ©tique sur un monde dĂ©jĂ figĂ©.
Mais non.
CrĂ©er, câest refuser. Câest cracher avec des couleurs, câest dire non merci au bĂ©ton, au vide, Ă lâennui programmĂ©.
CrĂ©er, câest conspuer â avec un pinceau, une chanson mal enregistrĂ©e, un poĂšme griffonnĂ© sur un ticket de mĂ©tro, une aquarelle dâun escargot en lĂ©vitation devant une raffinerie.
CrĂ©er, câest ne pas jouer le jeu. Câest sâextraire du programme. Câest dire :
âJe sais que ce monde tourne mal, alors je vais lui greffer des ailes en papier, et si ça ne le sauve pas, au moins je lâaurai embelli pendant sa chute.â
CrĂ©er, ce nâest pas âfaire de lâartâ. Câest gratter le vernis de la rĂ©alitĂ©, jusquâĂ ce quâune autre couche apparaisse : plus fragile, plus vibrante, plus vivante.
Et ça, câest insupportable pour ceux qui vendent du faux. Car la crĂ©ation gratuite est un miroir que lâindustrie ne peut pas casser.
Une aquarelle posĂ©e sur un mur gris dit : âJe ne crois pas en ton monde. Alors jâen invente un autre. Ă main levĂ©e.â
CrĂ©er, câest redonner de lâair Ă ceux qui suffoquent. Câest dessiner des sorties lĂ oĂč il nây avait que des murs. Câest ne pas attendre quâon te donne lâautorisation dâexister autrement.
Et quand on le fait avec humour, avec tendresse, avec absurdité, on rend la critique encore plus insupportable à ceux qui dominent.
Car rien ne les dĂ©sarme autant quâun peuple qui se met Ă peindre, Ă danser, Ă jouer de la flĂ»te en plein couvre-feu.
CrĂ©er, câest ne pas tuer. Mais câest dire tout haut quâon ne veut plus mourir pour leurs idĂ©es.
10. Foutez le feu avec des graines
âIl y a des incendies qui ne dĂ©truisent rien. Ils Ă©clairent. Ils rĂ©chauffent. Ils rĂ©veillent. Et tout commence avec une graine.â
On nous a appris Ă avoir peur du feu. Le feu de la colĂšre, le feu de lâindignation, le feu du changement. Et pourtant⊠ce nâest pas le feu qui dĂ©truit, câest lâintention quâon y met.
Il existe un feu doux, un feu fertile, un feu qui ne consume pas mais qui enflamme les consciences. Et ce feu-lĂ , tu peux lâallumer avec des graines.
Pas des slogans. Pas des cris. Des graines. Celles quâon jette sans savoir si elles prendront. Celles quâon offre au hasard. Celles quâon dĂ©pose dans une main, un regard, un mot.
Foutre le feu avec des graines, câest semer lâinattendu dans le bĂ©ton du quotidien.
Câest mettre du vivant lĂ oĂč il nây avait que du fonctionnel. Câest insinuer la beautĂ© comme un poison lent. Câest dĂ©poser une fleur dans un commissariat, une pomme dans un bureau vide, un poĂšme dans une boĂźte aux lettres pleine de factures.
Une graine ne fait pas de bruit. Elle attend. Elle se prépare. Et un jour, sans prévenir, elle éclate le sol.
Le pouvoir ne craint pas les cris. Il les a apprivoisĂ©s. Mais il redoute les gestes infimes. Le jardin secret. Le rituel du thĂ© Ă lâaube. La lettre Ă©crite Ă la main. Le chant quâon fredonne sans scĂšne, sans public.
Ces gestes-lĂ ne se mesurent pas, ne se contrĂŽlent pas, et surtout, ne sâachĂštent pas.
Et quand ils sâaccumulent, ils bousculent le monde plus sĂ»rement que mille rĂ©volutions bruyantes.
Alors oui, fous le feu. Mais pas avec des cocktails molotov. Avec des coquelicots. Avec des graines de basilic dans les fissures. Avec des mots doux laissés dans des poches étrangÚres.
Et surtout : Fous le feu en toi. Pas pour brûler. Pour illuminer.
Pour que mĂȘme dans la nuit la plus dense, on sache que quelquâun, quelque part, a encore foi en la germination.
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