1. Tu es un consommateur, pas un citoyen — et tu ne veux pas que ça change.
Tu crois que t’as des convictions.
Mais ce que t’as surtout, c’est un panier Amazon émotionnel.
Tu choisis tes indignations comme tu choisis ta pizza : "Tiens, aujourd’hui, j’vais prendre un petit génocide light avec supplément théorie du complot, mais sans gluten SVP."
Tu penses voter avec ta carte d’électeur ?
Non, tu votes avec ton temps d’écran.
Et la vérité, c’est que t’en as rien à foutre d’être citoyen. Ce que tu veux, c’est du confort moral premium, de l’émotion livrée en 24h chrono, et surtout aucune friction cognitive.
La démocratie ? Tu la vis comme un service client.
Tu veux râler, mettre 1 étoile sur Trustpilot à Macron, à l’UE, à l’humanité…
Mais surtout que rien ne change, pour ne pas avoir à te lever plus tôt.
On t’a vendu que "toute voix compte" ?
Mec, aujourd’hui, ton avis ne vaut que s’il est viral.
Et tu le sais.
Alors tu likes, tu partages, tu t’indignes à l’unisson.
Mais est-ce que t’as déjà descendu dans la rue quand c’était pas à la mode ?
Est-ce que t’as soutenu une cause sans photo de profil, sans sticker, sans petit ruban symbolique pour que ta conscience ait bonne mine ?
Nan. Parce que t’es pas con. T’es client de la révolution, pas son artisan.
Et faut le dire : ça t’arrange.
Parce que si t’étais vraiment citoyen, tu devrais agir. Réfléchir. Renoncer à du confort.
Tu devrais désobéir, pas juste retweeter.
Mais c’est chiant, ça.
Et t’as piscine.
Ou Netflix.
Ou un colis à récupérer chez Mondial Relay.
2. Scandales à la carte : pourquoi les trahisons financières font jouir l’opinion publique ?
Tu ne rêves pas : on vit dans un monde où un ministre qui se fait pincer avec un compte offshore fait plus bander Internet qu’un village entier bombardé en silence.
Pourquoi ? Parce que la chute d’un puissant, c’est du porno démocratique.
Une bonne petite déculottée publique, avec champagne de Schadenfreude.
C’est comme voir un prof se faire engueuler par le principal : t’as rien à voir dans l’histoire, mais t’as un frisson de jouissance. Tu sens que, pour une fois, la hiérarchie se renverse.
T’as pas besoin d’être pauvre, t’as juste besoin de haïr ceux qui se croient au-dessus.
Mais attention : pas tous les puissants.
Non. Juste ceux qui sont déjà affaiblis. Juste ceux qu’il est "autorisé" de critiquer sans perdre d’amis sur Facebook.
C’est pas de la rébellion, c’est du recyclage de haine sociale en édition limitée.
Les scandales financiers, c’est le théâtre chic de la décadence morale, en costard.
Tu vois un mec planquer 12 millions aux Bahamas ? Tu t’indignes, tu partages, tu tagues un pote en disant "tiens, ton pote le banquier ! 😂".
Mais si demain on te propose une niche fiscale, t’y vas en moonwalk.
Parce qu’au fond, tu ne veux pas que les riches tombent.
Tu veux juste qu’ils tombent un peu, pour que toi t’aies l’impression de monter.
Et pendant ce temps, les vrais crimes se passent sans témoins.
Les multinationales saignent des pays entiers ? T’as pas le dossier, donc tu partages pas.
Une famille entière crève dans un désert à cause d’un accord commercial ? Pas de vidéo = pas de buzz = pas de scandale.
La trahison visible est vendable.
La souffrance invisible est invendable.
Et tu marches dans ce business comme un consommateur en soldes.
Scandale oui, mais à la carte. Avec dessert.
3. L’indignation spectacle : la souffrance ne vaut que si elle est stylisée
Tu veux que le monde aille mieux ?
Commence par admettre un truc gênant : tu ressens plus d’émotion pour une tortue coincée dans un gobelet Starbucks que pour une fillette démembrée au Yémen.
Et c’est pas (que) de ta faute. C’est parce que la souffrance, aujourd’hui, doit être instagrammable pour être audible.
Tu veux pleurer ? Il te faut : - Un filtre sépia, - Un piano triste en fond, - Un montage cut à la Netflix, - Et surtout, pas trop de sang — sinon ça coupe l’appétit.
La misère crue, sans bande-son, sans narrateur off qui t’explique qui est le méchant et pourquoi tu dois chialer ?
➡️ Tu scrolles. Tu zappes. Tu classes ça dans "Trop dur, j’ai pas la force aujourd’hui."
La souffrance réelle ne s’entend plus. Elle doit se mettre en scène, comme une pub pour Amnesty International version TikTok.
Et c’est ça le piège : on pense qu’on devient plus empathique, en réalité on devient plus exigeant.
Tu veux t’émouvoir ? Il faut te séduire.
La cause doit avoir un logo, un slogan, un storytelling clair, un héros à aimer, un monstre à haïr.
Tu ne veux pas aider.
Tu veux te sentir bien en aidant.
Alors on te donne ce que tu veux : des campagnes mignonnes, des visages tristes mais beaux, des drames proprets.
Mais surtout, pas de puanteur, pas de cris, pas de chaos brut.
Parce que le chaos brut, il te rappelle que t’es inutile.
Et ça, c’est insupportable.
Donc tu scrolles vers autre chose.
Un chaton. Une vanne sur BHL. Un mec qui se prend une tarte dans une manif.
La souffrance, c’est ok. Mais à condition qu’elle passe bien à l’écran.
4. L’indifférence 3.0 : ce que les gens ne partagent pas dit plus sur eux que ce qu’ils likent
Tu crois que t’es quelqu’un de bien parce que t’as liké un post sur les Ouïghours ?
Félicitations. T’as gagné un badge de vertu en chocolat.
Mais maintenant, dis-moi ce que tu n’as pas partagé.
Car c’est là que réside ta vraie morale.
Pas dans ce que tu affiches, mais dans ce que tu ignores consciemment, tous les jours, en pleine lucidité.
Le Soudan ?
"Ah ouais j’ai vu passer un truc, mais j’ai pas trop compris… puis bon, c’est compliqué, hein."
La traite des enfants au Nigeria ?
"Trop dur. J’ai pas voulu cliquer. En plus, c’était un article payant."
L’exploitation des migrants dans les champs de fraises ?
"J’ai hésité à commenter, mais j’avais peur que ça plombe l’ambiance sous la publication du brunch vegan."
Bienvenue dans l’ère de l’indifférence choisie.
On ne regarde pas ailleurs par accident.
On décide de ne pas voir, pour ne pas être impliqué.
Et on appelle ça comment ?
➡️ De la santé mentale.
➡️ De l’hygiène numérique.
➡️ De la "positive attitude".
Non, mec. C’est du confort moral sous stéroïdes.
Parce que la vérité, c’est que tu veux rester “au courant”, mais jamais au point d’être dérangé.
Tu veux savoir que le monde va mal, mais à une distance émotionnelle réglable.
Tu vis comme dans une galerie d’art de l’horreur : tu regardes, tu hoches la tête, tu dis "c’est terrible", et tu passes à la toile suivante sans jamais te salir les mains.
Tu ne veux pas être mauvais.
Mais tu ne veux surtout pas être affecté.
Et cette indifférence moderne, elle est pas passive. Elle est active. Stratégique. Intelligente.
Elle te protège. Elle t’isole. Elle te tue doucement.
5. Le clic comme unité morale : plus de vues = plus de valeur ?
Avant, la vérité, c’était Dieu.
Puis, c’était la Science.
Aujourd’hui ? C’est l’algorithme.
Tu veux savoir si un truc est important ? Tu regardes le nombre de vues.
Moins de 10 000 ? Pas grave.
1 million ? OH. MON. DIEU.
Mais attends deux secondes…
Depuis quand la gravité d’un sujet dépend de sa popularité ?
Depuis qu’on a troqué notre boussole morale contre une barre de signal Wi-Fi.
Tu penses qu’un fait est plus réel parce qu’il buzz.
Tu crois qu’un cri est plus légitime parce qu’il est viral.
Mais en réalité, tu ne juges plus les contenus, tu les notes comme une série Netflix.
Et ce n’est même pas de ta faute :
Les plateformes ont piraté ton cerveau.
Elles ont collé un compteur sur la douleur du monde.
Et maintenant, ton empathie est calibrée par un putain de tableau Excel.
Un hôpital bombardé ?
Si ça fait 1000 vues, c’est triste.
Si ça en fait 10 millions, c’est un crime contre l’humanité.
Mais tu sais quoi ? Parfois, les choses les plus importantes ne se partagent pas.
Parce qu’elles sont moches. Complexes. Dérangeantes.
Parce qu’elles ne sont pas "buzzables".
Et pendant ce temps, une vidéo de complot sur Bill Gates qui mange des bébés dans une cave fait le tour du monde.
Elle te choque. Elle t’excite. Elle t’unit dans une indignation facile.
La vérité ?
Tu ne suis pas la morale.
Tu suis la trace thermique de la hype.
Et c’est ça, aujourd’hui, le baromètre de la justice :
Le clic.
Tu veux encore plus profond ?
6. L’industrie du choc : quand le contenu devient une drogue pour nos cortex
Tu crois que t’es libre ?
Non. T’es drogué. Pas au crack, ni à la coke.
T’es accro à un truc bien plus puissant : le contenu qui fait “BOUM” dans ta tête.
Tu veux des preuves ?
Pourquoi tu mates 45 secondes d’un mec qui pète dans une poêle à frire…
Mais tu tiens pas 15 secondes sur un témoignage d’enfant-soldat ?
Parce que l’un fait rire ton système limbique,
Et l’autre demande à ton cortex préfrontal de faire un effort.
➡ Et devine qui gagne à tous les coups ? L’instinct.
L’industrie du choc, c’est le cartel le plus légal du monde.
Son produit : le court-circuit émotionnel.
Sa cible : ton cerveau reptilien.
Sa stratégie : te rendre incapable de rester calme plus de 6 secondes.
T’as déjà vu quelqu’un faire une overdose de compassion ?
Moi oui. Tous les jours.
Les gens saturent, ferment, fuient.
Mais un bon petit clash politique, un pet sexuel sur une info, un slide d’indignation bien foutu ?
Ça passe crème.
Encore. Encore. Encore.
Et les créateurs de contenu ?
Ils l’ont compris depuis longtemps :
👉 Pas de choc, pas de clic.
👉 Pas de clash, pas de cash.
👉 Pas de baffe mentale, pas de viralité.
Résultat ? Même les causes les plus nobles doivent se prostituer au sensationnel pour exister.
Des ONG montent des campagnes comme des blockbusters.
Des journalistes font des titres comme des scripts de Tarantino.
Des activistes deviennent des showrunners.
Parce que sinon, personne ne regarde.
Mais voilà la question qui tue :
Tu voulais de l’info ou tu voulais une montée d’adrénaline ?
Si t’es honnête, tu sais déjà la réponse.
T’es prêt pour l’uppercut final ?
7. Conclusion : Ce qui gouverne le monde n’est pas l’argent, ni la morale, mais l’érection de l’attention.
Tu croyais que le monde tournait autour de l’argent ?
Faux.
Tu pensais que c’était la morale ? Encore plus faux.
Le vrai patron, le roi, le dictateur suprême de notre époque, c’est l’attention.
Pas juste "être vu", non.
Être désiré mentalement. Être impossible à ignorer.
Faire bander les cerveaux. Allumer des étincelles de dopamine sur commande.
On vit dans une économie où la monnaie d’échange n’est plus l’or, ni le pétrole, ni les idées.
C’est le buzz.
C’est le “Tu l’as vu ce truc là ?!”
C’est le “Mec, tu DOIS cliquer.”
L’attention n’est pas un outil. C’est une fin en soi.
Et comme toute érection, elle n’a ni logique, ni morale.
Elle est brute. animale. impulsive.
Elle monte pour un scandale sexuel, mais pas pour une famine.
Elle explose pour une blague sur un ministre, mais pas pour une guerre oubliée.
Et tu sais quoi ? On appelle ça “l’ère de l’information”.
Non. C’est l’ère de la stimulation.
On ne s’informe plus, on se dope.
Et on défile nos vies comme un menu de snacks émotionnels.
Alors à la fin, qu’est-ce qui gouverne le monde ?
Pas l’argent. Il obéit au buzz.
Pas la morale. Elle s’adapte au marketing.
Pas même l’indifférence. Elle est juste un effet secondaire.
Ce qui gouverne le monde, c’est ce que ton cerveau choisit d’honorer.
Et en ce moment, il préfère un bon clash à un cri d’enfant.
Mais t’as encore le choix.
Pas de tout changer.
Mais de résister un peu.
De partager un truc moche, mais vrai.
De commenter sans vanne.
D’aimer sans dopamine.
Alors, tu fais quoi maintenant ?
Tu scrolles ?
Ou tu réagis ?
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