Pourquoi les conformistes ont besoin des complotistes pour dormir tranquille

Le complotiste vu par le conformiste : l’idiot utile de l’apocalypse

Il faut bien comprendre une chose : le conformiste n’est pas idiot. Il est souvent diplômé, raisonnable, bienveillant même. Il trie ses déchets, paie ses impôts, et lit Le Monde. Mais lorsqu’il parle d’un complotiste, son ton change, son regard se ferme. Il parle d’un être déchu, d’un danger rampant, d’une pathologie sociale. Le complotiste ? C’est le type dans la caverne avec son chapeau en aluminium, entouré de vidéos YouTube, qui croit que la Terre est plate et que les oiseaux sont des drones. Voilà le tableau.

Mais cette image ne vient pas de nulle part. Elle est entretenue, nourrie, recyclée dans les médias, dans les discours politiques, dans les conversations du quotidien. Le mot “complotiste” est devenu un mot-massue. Un label infamant. Une prison mentale qui évite de débattre. Dire "tu es complotiste", c’est dire : "Je ne t’écoute plus. Tu es fou, donc dangereux, donc tu sors du cercle de l’humain crédible." Le conformiste ne veut pas se salir les mains avec ces gens-là. Il a ses sources : France Info, Le Figaro, Wikipédia. Il croit au consensus, au journalisme d’investigation à sens unique, au doute modéré. C’est un croyant déguisé en sceptique.

Mais pourquoi cette hostilité ? Parce que le complotiste, dans l’imaginaire conformiste, remet en cause le socle même de la civilisation : la confiance. Confiance dans les experts, dans l'État, dans les institutions, dans la science officielle. Or, enlever cette confiance, c’est comme couper l’électricité dans une centrale nucléaire : tout clignote, tout panique. Alors on préfère isoler celui qui remet en cause, plutôt que d’interroger ce qu’il dit.

Et là, arrive le paradoxe : le conformiste a besoin du complotiste. Comme une société a besoin d’un bouc émissaire. Il projette sur lui toutes ses peurs : la manipulation, le mensonge, la perte de repères. Le complotiste est un miroir déformant où le conformiste voit sa propre vulnérabilité – et ça, il ne le supporte pas.

Alors il le ridiculise, le marginalise, l’accuse d’être un danger public. Il le renvoie à l’ombre. Pourtant, il sait bien, au fond… que parfois, ce que dit le complotiste contient une part de vrai. Mais chut. Il ne faut surtout pas le dire.

Et vous, dites-moi franchement : vous vous sentez plutôt dans quelle case ?

Le complotiste vu par lui-même : le dernier romantique tragique de l’ère algorithmique

Non, le complotiste ne se prend pas pour un idiot. En réalité, il se voit comme un survivant du naufrage intellectuel collectif. Il regarde le monde avec des lunettes faites de doutes, d’intuitions, de recoupements. Là où les autres voient un bulletin d'information, lui voit un scénario, un pattern, un angle mort. Il ne croit pas à tout. Il croit que rien ne mérite d’être cru sans question.

Il a lu. Beaucoup. Trop. Des articles disparus du Net, des PDF étranges, des vieux livres aux pages jaunies. Il s’informe autrement, parfois maladroitement, souvent obsessionnellement. C’est un archéologue du soupçon. Il connaît les liens entre Monsanto et l’OMS, les délires de l'opération Northwoods, le brevet de tel vaccin trois ans avant la pandémie. Est-ce qu’il se trompe ? Parfois, oui. Comme tout le monde. Mais lui au moins ose. Il ne délègue pas sa pensée.

Le complotiste se sent seul, oui. Rejeté, souvent. On l’a traité de débile, de fasciste, d’antisémite, de dangereux. On l’a mis dans le même sac que les platistes, les antivax extrêmes, les tenants du grand remplacement et les fans de reptiliens. Pourtant lui, il veut juste comprendre pourquoi il a le sentiment qu’on lui cache quelque chose.

Il n’a pas confiance dans les institutions. Et peut-on vraiment lui en vouloir ? Les scandales ? Il les a enfilés comme des perles : mensonges d’État, manipulations médiatiques, collusions politiques, fraudes bancaires, surveillance de masse… Et il voit les autres continuer à boire les mots des experts, comme si l’Histoire n’avait jamais existé. Comme si le Watergate n’avait jamais eu lieu. Comme si les laboratoires pharmaceutiques avaient pour mission première la santé publique.

Alors oui, il a parfois l’air cinglé. Il a une carte mentale du monde plus complexe, plus obscure, plus anxiogène. Il pense que les gens préfèrent le confort du mensonge à l’inconfort de la lucidité. Il se sent en mission, pas comme un sauveur, non. Mais comme un veilleur. Il veut juste que les gens se posent les bonnes questions. Qu’on arrête de le réduire à un slogan. Parce que dans sa tête, c’est pas le chaos, c’est de la résistance.

Et vous, quand avez-vous douté pour la dernière fois… vraiment douté ?

Ma définition de "complotiste" : un synonyme contemporain de poète maudit, version parano

Le mot "complotiste" ne décrit pas une personne. Il décrit un échec collectif.

C’est l’étiquette la plus pratique du XXIe siècle pour tuer une conversation avant qu’elle ne commence. Le complotiste, c’est celui qu’on désigne quand on a peur de ce qu’il pourrait dire. Ce n’est pas un fou. Ce n’est pas un génie. C’est un transgressif. Un électron libre dans une société qui valorise l’ordre et la répétition.

Derrière cette étiquette ? Un mélange inclassable de colère, d’intuition, de trauma, de lucidité et parfois, oui, d’égarement. Mais ce n’est pas une maladie. C’est un symptôme. Celui d’un monde où la parole est confisquée, où le réel est médié, où toute dissonance est suspecte. Le "complotiste" existe parce que la vérité, aujourd’hui, n’est plus une quête : c’est une version officielle.

On lui reproche de voir des fils invisibles partout. Et si c’était simplement parce qu’il vit dans une toile ? Une toile tissée de big data, de lobbies, d’algorithmes de censure douce, de diplomatie opaque, de narratifs qui s’autodétruisent à la première contradiction.

Moi, je ne vois pas un complotiste. Je vois un poète. Un poète déglingué, marginalisé, parfois ridicule, mais qui continue de chercher du sens là où il n’y a plus que des protocoles. Il délire parfois ? Oui. Mais n’est-ce pas le délire qui a toujours nourri l’art, la philosophie, la science elle-même ? Il dérange ? Tant mieux. Le rôle de l’esprit libre n’a jamais été de rassurer.

Alors ma définition ? Un complotiste, c’est un dissident qui n’a pas les mots pour se faire entendre. C’est un philosophe sauvage, sans chaire, sans tribune, qui hurle dans le désert numérique. Ce n’est pas qu’il croit à tout… c’est qu’il refuse de croire sans preuve, même aux choses qui paraissent évidentes.

Et si au fond… le complotiste n’était pas une menace, mais un révélateur ? Le révélateur de notre intolérance au doute. Le miroir d’une société qui ne supporte plus la friction. Un corps étranger dans la soupe tiède du consensus.

Alors je vous pose la vraie question : et si, un jour, vous découvriez que vous étiez complotiste sans le savoir ?

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