France bleue, cœur noir : chronique d’un effondrement organisé

1. "Baissez les yeux, la République recule"

Vous sentez cette odeur ? Non, ce n’est pas celle de la justice en action. C’est la moisissure des casernes de gendarmerie, la crasse d’un État qui préfère repeindre les murs de l’Élysée plutôt que réparer une chaudière à Lavelanet. Pendant que certains rêvent d’un ordre républicain rétabli, d’autres, les gendarmes eux-mêmes, doivent déjà prier pour qu’il y ait de l’eau chaude.

Et si vous pensez que j'exagère, c’est que vous n’avez jamais visité une caserne de la France profonde, où l’isolation est une légende urbaine et où les murs tiennent par miracle — ou par les toiles d’araignées qui jouent le rôle de charpente secondaire. Bienvenue dans le tiers-monde sécuritaire, version tricolore.

On a des soldats sans armure. Des gendarmes qui dorment dans des bâtiments plus vieux que leurs chefs, et qui patrouillent dans des Renault Mégane de 2007, en espérant que les freins tiennent le prochain virage. Des véhicules au tableau de bord digne de Stranger Things, où chaque voyant allumé est un signal divin, un oracle de panne imminente. Et malgré tout ça, ils sortent. Ils sortent pour calmer les violences domestiques, intervenir sur des rixes, courir après des mecs en scoot sans casque — sans savoir s’ils rentreront dormir dans leur lit glacial ou dans une cellule à l’hôpital.

Et pendant ce temps-là, que font les grands chefs ? Ils auditionnent. Ils "prennent la mesure". Ils reconnaissent les problèmes, comme on lit une météo sans parapluie. Aucun recrutement net, zéro création de poste. On remplace les départs. Quand on peut. C’est le grand loto des affectations : tu veux un collègue ? Tire une boule, mon pote. Avec un peu de chance, tu n’auras pas une chaudière cassée en prime.

Et on s’étonne des départs ? Sérieusement ? Les familles quittent les casernes non pas à cause des mutations, mais à cause de l’humidité. Des gendarmes démissionnent parce que leurs enfants chopent des bronchites carabonnées chaque hiver dans des chambres où le chauffage est une rumeur. Et on appelle encore ça le "logement de fonction" ? Non. C’est une punition en prime.

Ah, et pendant qu’on y est : non, tous les gendarmes ne passent pas leur vie à traquer le retraité en retard à son apéro avec des jumelles laser et une GoPro sur l’épaule. Ceux-là, c’est une minorité. Ceux-là, on vous les laisse. Les autres, les vrais, ceux qui sont sur le terrain, dans les zones pourries, à gérer la misère sociale, les colères brutes, les drames du quotidien, sans moyens et sans reconnaissance ? Eux, on va les défendre. Et on va leur rendre justice — avec des mots si on n’a plus de budget.

Alors oui, la République recule. Mais ce ne sont pas les gendarmes qui tournent le dos. Ce sont les moyens. Et ça, c’est une trahison.

Polizei

2. "L’État préfère Netflix à la sécurité"

C’est l’histoire d’un pays qui dit ne pas avoir d’argent pour protéger ses citoyens, mais qui trouve toujours un petit milliard au fond de son canapé quand il s’agit de subventionner un programme culturel incompris ou de refinancer un dispositif d’aide obscur dont même les technocrates ont oublié le nom. Un pays où on coupe les budgets de la réserve opérationnelle mais où l’on distribue des chèques pour aller au théâtre expérimental bulgare.

Mais bon, on nous l’a dit : "il n’y a pas de magie budgétaire". C’est vrai. Juste de la prestidigitation cynique. La sécurité, on ne peut plus la financer ? Normal : elle ne fait pas assez de clics, elle n’a pas d’abonnés, et surtout, elle ne rapporte rien... à court terme.

Car soyons honnêtes : la gendarmerie ne génère pas de buzz. Elle ne lance pas de startups. Elle ne participe pas aux "appels à projets innovants pour la transition numérique inclusive". Non, elle sécurise un territoire. Elle protège les faibles. Elle désamorce des conflits. Elle met son corps entre les coups et la société. Et ça, en 2025, ça n’a pas de valeur marchande.

Résultat ? Le budget réservé aux 36 000 réservistes baisse de 15 millions. Baisse, pas gel. On les remercie d’avoir tenu pendant les émeutes, d’avoir couvert les trous béants de l’effectif, en leur retirant de quoi entretenir leurs uniformes ou même se déplacer. On leur dit : "Merci pour votre engagement, mais maintenant, débrouillez-vous." Imaginez le pompier volontaire à qui on demande de ramener son tuyau.

Mais pendant ce temps, les aides pleuvent. Des aides pour les smartphones. Des aides pour l’inclusion numérique. Des aides pour "le soutien psychologique des influenceurs en reconversion". Je caricature ? A peine. Parce que l’argent est là. Il existe. Il est juste ailleurs.

Et la question qui tue : et si tout cela était volontaire ? Et si l’effondrement de la gendarmerie, ce n’était pas un dommage collatéral, mais une stratégie ? Un effondrement maîtrisé, pour laisser le champ libre à une autre forme de contrôle social : algorithmique, privé, technologique. Le flicage par drones, par caméras intelligentes, par IA déshumanisée. Le remplacement du gendarme par le logiciel.

Parce qu’un gendarme, ça pense. Ça parle. Ça peut contester un ordre absurde. Une caméra, non. Et ça, c’est bien plus pratique.

Voilà la vérité : l’État a ses priorités. Et la sécurité réelle des citoyens n’en fait plus partie. Parce que la peur désorganisée, c’est utile. Parce qu’un peuple inquiet, c’est un peuple docile. Parce que le désordre, c’est le meilleur allié de ceux qui veulent garder le pouvoir sans le mériter.

Alors oui, on préfère financer des plateformes de vidéos à la demande que des patrouilles dans les zones blanches. Et pendant ce temps, les gendarmes, eux, regardent le pays s’enfoncer — sans popcorn, mais avec résignation.

3. "Le futur se barre à la retraite"

Imagine un bateau qui prend l’eau de partout. Les passagers sautent à l’eau, un à un. Et au lieu de colmater les brèches ou de construire une chaloupe, le capitaine regarde l’horizon et dit : “Tout est sous contrôle.” Voilà exactement où en est la gendarmerie. Sauf qu’ici, les passagers, ce sont les gendarmes eux-mêmes. Et ils ne sautent pas pour le plaisir de la baignade. Ils fuient un navire dont plus personne ne veut assurer la maintenance.

Zéro recrutement net. C’est acté pour 2025. Aucun poste en plus, juste des remplacements. Et encore, quand les concours ne sont pas désertés, quand les affectations ne se perdent pas dans les limbes administratives. Le message est clair : si tu veux rejoindre la gendarmerie, prépare-toi à ramer seul. Et sans pagaie.

Et les départs ? Une hémorragie. Silencieuse, honteuse, mais massive. On ne parle plus seulement de départs à la retraite. On parle de jeunes sous-officiers, usés avant 30 ans, qui claquent la porte avec le même bruit qu’une arme de service qu’on dépose définitivement. Des femmes et des hommes qui ont cru à une vocation, et qui découvrent un métier sacrifié. Ils ne partent pas pour faire fortune. Ils partent pour survivre. Mentalement, physiquement, familialement.

La relève ? Introuvable. Qui veut encore vivre en caserne ? Qui accepte de trimballer sa famille d’un coin pourri à un autre, dans un logement sans isolation, avec des chaudières préhistoriques et des fenêtres qui ferment mal ? Qui veut bosser 60 heures par semaine, être envoyé sur les pires interventions, risquer sa peau… pour se faire insulter sur les réseaux et ne pas avoir les moyens de faire son boulot correctement ?

Et comme si ce n’était pas assez, on saigne aussi la réserve. Moins de budget, moins d’opérations. On épuise le vivier des patriotes discrets, ceux qui venaient les week-ends, en uniforme, couvrir les trous béants d’une République à découvert. On leur dit : “Merci, au revoir.” Ou pire : “Revenez quand on aura les moyens.” Ce qui revient à dire “jamais”.

Ce n’est plus une crise. C’est une euthanasie lente.

On ne forme plus. On ne projette plus. On éteint doucement la flamme. Et un jour — très bientôt — on se réveillera avec une France où il n’y aura plus de gendarmes dans certaines zones. Pas par idéologie. Par pénurie. Plus de forces pour intervenir. Plus de visages familiers dans les campagnes. Plus de bleu marine dans les rond-points.

Et on fera quoi ? On enverra des drones ? Des messages automatiques ? Une IA qui dira : “Merci de patienter, un agent virtuel va traiter votre détresse” ?

Le futur se barre. Il ne fait pas de bruit. Il part à petits pas. Il laisse les clés sur le bureau. Et il ne reviendra pas.

Parce qu’un système où les meilleurs s’en vont, et où les postes restent vides, n’est pas en crise.

C’est un système qui meurt.

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