Une minute pour les rois
Tu crois qu’il faut gravir les échelons, suer sang et eau, négocier des traités de paix, traverser une guerre nucléaire ou réconcilier la France pour mériter une retraite dorée ? Détrompe-toi. Il suffit d’être Premier ministre… le temps d’une playlist Spotify.
Oui, 91 jours à Matignon, et c’est bingo à vie. Le cas Michel Barnier — l’éclaircie administrative de 2005 — est une parabole moderne. Moins de trois mois à la tête du gouvernement, et à la clé : 48 000 euros d’indemnité, une voiture avec chauffeur à vie, le tout au calme, sans le stress des 49.3. On appelle ça un job d’été… avec un CDI céleste.
Alors posons la question simple, brutale : pourquoi pas moi ? Pourquoi pas toi ? Pourquoi ne pas instaurer un système de tirage au sort où chaque Français aurait une chance de goûter au confort matignonien pendant 60 secondes ? Un Français, une minute, un avenir ! Ce serait au moins démocratique.
Car aujourd’hui, c’est une aristocratie de l’instant qui règne. Peu importe les réformes entreprises, les crises gérées, les catastrophes évitées. Tu as mis les pieds à Matignon ? Le tapis rouge est déroulé. Tu t’es assis sur le fauteuil ? On t’envoie les clés de la voiture, le badge du bureau, et l’attaché qui te prend tes rendez-vous jusqu’à ta mort.
On ne parle pas ici de gratitude nationale ou de reconnaissance de la Nation pour des services rendus dans des conditions extrêmes. Non. On parle d’un jackpot automatique, d’une machine à privilèges qui se déclenche plus vite qu’un micro-ondes.
Et toi, petit salarié, petit patron, petit rien-du-tout, toi qui fais la queue à la CAF, tu continues de cotiser pour cette belle mécanique à piston doré. Parce qu’on t’a dit un jour que l’effort devait être partagé.
Allez, lève la main : tu veux le poste aussi ? Moi j’ai déjà mon discours de passation prêt : “Françaises, Français, je vous remercie de m’avoir permis d’être Premier ministre pendant une minute et quarante-sept secondes. Je pars maintenant profiter de ma retraite dorée. Merci, chauffeur, en route.”
Les rois ne meurent jamais
Ils quittent Matignon, mais Matignon ne les quitte jamais.
Ils deviennent d’anciens Premiers ministres, certes, mais continuent à vivre comme si Matignon n’avait été qu’un tremplin vers une existence parallèle : celle des immortels républicains. Les vrais Highlanders de la Vᵉ République. Sauf qu’au lieu d’épées, ils brandissent des notes de frais.
Bernard Cazeneuve, par exemple, a coûté 201 387 € à l’État en 2023. On pourrait croire qu’il a dirigé le pays pendant deux mandats, géré dix crises géopolitiques, et découvert un vaccin contre le populisme. Non. Il a fait un tour à Matignon, puis il est parti. Mais ses avantages, eux, sont restés. Voiture, personnel, services. Comme un hôtel cinq étoiles, mais sans check-out.
Et puis, il y a l'exemple d'Édith Cresson, notre doyenne des anciens chefs du gouvernement. Elle n’est plus aux affaires depuis 1991, elle a 82 ans, et pourtant, en 2023, l’État lui a encore payé plus de 43 000 € de frais, pour son personnel et ses déplacements. Vingt-cinq ans après sa sortie du pouvoir. C’est plus tenace qu’une tache de vin rouge sur une chemise blanche.
On croirait lire un mauvais roman sur une monarchie décadente. Mais non, c’est la réalité : un système où la durée du mandat importe moins que le fait d’avoir eu, un jour, la clé du bureau du Premier ministre. Une seule fois suffit à décrocher la combinaison magique. Pas de durée minimale, pas de condition de performance. Juste “avez-vous été Premier ministre ?” — cochez la case, et hop, les privilèges se déversent comme une fontaine d’or.
Et ce n’est pas juste le coût qui dérange. C’est le principe. Cette idée absurde que l’on puisse se constituer une rente publique, perpétuelle, simplement parce qu’on a eu un titre, à un moment. On ne parle pas ici d’une pension, ni d’un remerciement symbolique. On parle d’un train de vie financé sur plusieurs décennies, dans un pays où on demande aux retraités de revoir leurs ambitions à la baisse.
“Les rois ne meurent jamais”, dit-on. À défaut de couronne, ils ont un chauffeur, une secrétaire, et des bureaux flambants neufs. Ça tombe bien : ils n’ont jamais vraiment quitté le trône.
Et pendant ce temps-là…
Pendant que Bernard roule, mamie roule aussi… en déambulateur. Sauf qu’elle, personne ne lui paie l’essence. Ni l’assistance. Ni le plaid en cachemire sur le siège passager.
C’est là que la farce se transforme en insulte. Pendant qu’on finance les voitures et le personnel des anciens chefs de gouvernement, des millions de Français galèrent à finir leur mois. On dit souvent que “la République n’oublie pas ses serviteurs” — mais visiblement, elle oublie bien vite ses citoyens.
Tu veux du concret ? Voici. Le montant total des dépenses pour les anciens Premiers ministres a bondi de 1,28 million à 1,58 million d’euros en deux ans. Dans le même temps, on a expliqué aux retraités qu’ils devaient faire “un effort”, aux soignants qu’il n’y avait “pas de budget”, et aux profs qu’on les “respectait”, mais sans hausse de salaire.
Et pendant que l’on serre la ceinture au peuple, on déroule le tapis rouge aux anciens seigneurs. Jean-Marc Ayrault ? 81 271 € de frais en 2023. Alain Juppé ? 83 546 €. Jean-Pierre Raffarin ? 167 467 €. Ça commence à faire cher la nostalgie.
Même Jean Castex, qui a tout juste quitté Matignon, s’en sort avec 3 607 €... et ce n’est que le début de sa carrière post-premierministerielle. Bientôt, il aura son bureau, son équipe, son chauffeur, son fauteuil ergonomique. Pendant ce temps-là, les caissières de supermarché développent des tendinites en silence.
Et le pire ? C’est qu’on a banalisé cette inégalité. On ne s’indigne même plus. On rit jaune, on partage une image sur les réseaux, puis on passe à autre chose. Le scandale devient un fait divers de plus dans l’océan de l’injustice quotidienne.
Alors posons-la, cette question qu’aucun d’eux ne veut entendre : jusqu’à quand allons-nous accepter que nos impôts servent à financer des retraites dorées pendant que nous, on compte les centimes pour acheter du beurre ?
Il est là, le vrai clivage de la République : ceux pour qui l’État est une rente, et ceux pour qui il est une charge.
L’arnaque légale du siècle
C’est peut-être ça, le génie français : transformer l’abus en tradition, et la rente en honneur. Ce qu’on appelle pompeusement “les avantages des anciens Premiers ministres” n’est pas un dérapage. C’est une arnaque réglementaire, un privilège institutionnalisé, gravé dans les usages, mais jamais dans la loi.
Tu veux une loi qui dit : “À vie, vous aurez un chauffeur, un assistant, un bureau, un abonnement aux croissants livrés chaque matin par un contractuel payé au SMIC” ? Non. Elle n’existe pas. Ce n’est pas écrit. Mais ça se fait. Et tout le monde ferme les yeux. On appelle ça le “dispositif Matignon”. Ça sonne presque chic, comme un parfum de luxe : “Dispositif Matignon — pour homme de pouvoir.”
Tout repose sur une note de service interne, un vieux décret poussiéreux, une tradition non questionnée. Le non-dit le plus juteux de la République. Et comme aucun gouvernement n’a le courage de sabrer ses anciens, ça continue, encore et encore. Même les révolutionnaires de 2022, 2027, ou 2032 ne toucheront pas à ça. Tu parles d’un consensus transpartisan !
Et puis, il y a le joker de la sécurité. Parce qu’on te dira toujours : “Ils doivent être protégés, ce sont des cibles potentielles.” Alors on ajoute les frais de sécurité, mais on ne les chiffre jamais dans les tableaux officiels. Ce sont des dépenses invisibles mais massives, et en plus classées secret-défense. Jackpot. L’arnaque parfaite. Personne ne peut vérifier, personne ne peut contester.
Mais qui décide de la fin de ces privilèges ? Personne. Il n’y a pas de limite d’âge, pas de contrôle d’activité, pas de révision. C’est open bar à vie. Et ça ne choque plus personne parce que “c’est comme ça depuis toujours”.
Et là, je te demande : depuis quand l’injustice devient acceptable simplement parce qu’elle est ancienne ? Depuis quand le silence autour d’un abus suffit à le blanchir ?
Tu sais ce que c’est, cette histoire ? C’est l’arnaque légale du siècle. Plus élégante que la fraude fiscale, plus discrète que les valises de billets, plus rentable qu’un compte aux îles Caïmans. C’est un système de rente en smoking, servi sur plateau argenté, avec la bénédiction de la République.
Le silence des pantoufleurs
Tu entends ce bruit ? Ce n’est pas un scandale. C’est l’absence totale de bruit autour du scandale.
Quand un ancien Premier ministre touche des milliers d’euros pour faire… rien, pas un article de une. Pas de “Cash Investigation”, pas de débat enflammé à l’Assemblée. Rien. Le silence. Comme une messe muette entre initiés.
Pourquoi ? Parce que le système est verrouillé. Les journalistes politiques dînent avec les ministres, les éditorialistes espèrent des interviews exclusives, les députés rêvent tous secrètement d’une reconversion dans un ministère ou une mission. Tout le monde a quelque chose à perdre. Alors on se tait.
Ce silence n’est pas accidentel. C’est une stratégie de survie de caste. Tu ne tapes pas sur celui qui pourra t’ouvrir des portes dans trois ans. Tu ne dénonces pas un privilège que tu espères un jour obtenir. Et surtout, tu ne mords pas la main qui te donnera peut-être un poste dans une commission d’éthique bien rémunérée.
C’est ce que j’appelle le syndrome de la pantoufle dorée. Ceux qui ont quitté le pouvoir mais gardent un pied dedans. Ils ne veulent plus gouverner, mais ils veulent toujours bénéficier. Et tout le monde leur déroule le tapis rouge, parce qu’un ancien Premier ministre, ça impressionne. Même quand ça ne sert plus à rien.
Et les syndicats ? Disparus. Eux qui hurlent à la moindre réforme des retraites restent étrangement muets. Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils savent que cette injustice ne concerne qu’une poignée de personnes. Et qu’il est plus simple de mobiliser contre la réforme du chômage que contre les privilèges d’Édouard Philippe.
Le plus fascinant, c’est que les Français eux-mêmes ont fini par l’accepter. Comme si cette caste de super-retraités faisait partie du paysage, comme les statues dans les parcs. Intouchables, oubliées, mais toujours là. On râle, on tweete, puis on passe à autre chose.
Et pendant ce temps, les pantoufleurs glissent, silencieux, d’une commission à un conseil stratégique, avec leur chauffeur qui attend devant le bureau payé par l’État.
Ce silence, c’est leur meilleure arme. Et notre pire faiblesse.
Ras-le-bol fiscal et privilèges d’en haut
Il y a un mot qui revient sans cesse quand tu tends l’oreille dans une file d’attente, sur un banc public, dans une discussion entre voisins : “ras-le-bol”.
Ras-le-bol de payer pour des gens qui n’en foutent plus une. Ras-le-bol de se serrer la ceinture pendant que d’autres se font masser les lombaires sur nos impôts. Ras-le-bol de ce gouffre entre le discours des “efforts nécessaires” et la réalité des “exceptions perpétuelles”. Le citoyen français n’est pas con : il a compris que l’ascenseur social est en panne, mais que celui du pouvoir marche toujours, direction le dernier étage avec champagne et petits fours.
Les ministres, eux, ils parlent de rigueur budgétaire comme un curé parle de chasteté : avec conviction, mais jamais pour eux. “Il faut faire des sacrifices !” Et dans la même phrase, on découvre que les ex-Premiers ministres continuent à rouler gratis, dans une Audi aux vitres fumées, pendant que toi tu fais ton plein en trois fois.
Et ne parlons même pas des petites entreprises qui crèvent à force de charges, ou des auto-entrepreneurs qui paient la CFE alors qu’ils gagnent 500 € par mois. Ces gens-là n’ont pas droit à un bureau payé. Ils n’ont même pas droit à une chaise ergonomique. Pendant ce temps, les anciens rois de Matignon ont leur secrétariat personnel et leur ligne directe à Bercy.
C’est ici que naît la fracture. La vraie. Pas celle entre la gauche et la droite, entre les jeunes et les vieux, ou entre les écolos et les bétonneurs. La fracture entre le haut et le bas. Entre ceux pour qui l’État est un guichet permanent de confort, et ceux pour qui il est devenu un percepteur impitoyable.
Quand tu vois des gens qui bossent toute leur vie et finissent avec une retraite minable, pendant que d’autres font 100 jours à Matignon et touchent à vie des avantages, tu comprends que le contrat social a explosé. Il ne tient plus. Il est illégitime.
Et après, ils s’étonnent du vote de colère, de l’abstention, de la défiance. Mais comment faire confiance à un système qui récompense le pouvoir comme un jackpot, et punit le travail comme une erreur de parcours ?
Ras-le-bol, oui. Et ce ras-le-bol, il ne s’éteint pas. Il s’accumule. Il gronde. Il s’apprête à faire tomber plus d’un fauteuil ministériel.
Le syndrome du Titanic
Imagine le Titanic. Il prend l’eau de toutes parts. Les passagers de troisième classe crient, paniquent, cherchent des bouées. Les matelots courent partout avec des seaux troués. Et là, sur le pont supérieur, dans un calme olympien, un ex-capitaine en costume trois-pièces se fait servir un cocktail, confortablement installé sur un transat chauffant. Le bateau sombre, mais lui a encore le service de luxe.
Bienvenue dans la République française, version post-Matignon.
Pendant que les services publics s’effondrent, que les hôpitaux manquent de lits, que les écoles organisent des collectes pour acheter des fournitures, l’État continue à financer les caprices d’un petit club d’élus retraités qui vivent comme si la crise n’existait pas.
Et ça n’a rien d’un oubli. C’est une organisation parfaitement huilée : chaque nouveau Premier ministre reçoit automatiquement ses privilèges de sortie. Il pourrait les refuser ? Bien sûr. Il ne le fait pas ? Bien sûr que non. Tu refuserais un open bar à vie, toi ?
Et c’est là que l’absurdité devient obscène : on parle d’un pays qui dit ne pas avoir d’argent. Pas assez pour maintenir le nombre de classes, pas assez pour remplacer les profs absents, pas assez pour revaloriser les petites retraites. Mais assez pour financer 16 ex-Premiers ministres, leurs chauffeurs, leurs bureaux, leurs conseillers — et leur ego.
Le Titanic coule, mais eux jouent au bridge dans le salon doré, pendant que la salle des machines crie au secours.
Et tu sais quoi ? Ils le savent. Ils savent que c’est indécent. Mais ils misent sur une chose : l’habitude. Le fait que les Français râlent, puis oublient. Le fait que chaque nouveau scandale en chasse un autre. Le fait qu’à force de subir, on finit par s’asseoir sur sa colère, et par reprendre une gorgée d’eau croupie.
Mais à force de mépriser ceux qui écopent pendant qu’eux s’allongent, à force de détourner le regard des urgences pendant qu’ils se garent en double file avec chauffeur, ils creusent un fossé. Un gouffre. Un cratère démocratique.
Car tôt ou tard, le Titanic ne coulera pas seulement à cause de l’iceberg économique. Il coulera à cause des salons dorés trop lourds à la proue.
Supprimer leurs privilèges, ou supprimer la République ?
On y est. Le moment où il faut cesser de jouer à l’indigné du dimanche. Ce n’est plus juste une question d’équité, c’est une question existentielle. La République peut-elle encore survivre en tolérant une aristocratie d’anciens premiers de cordée, planqués dans leurs bureaux climatisés à vie ?
Pose-toi franchement la question : est-ce qu’un système qui rémunère éternellement des gens pour un poste qu’ils ont occupé quelques semaines mérite encore le nom de “République” ?
Non. C’est une monarchie sans couronne. Une royauté à moteur diesel payé par le contribuable.
Il ne s’agit pas de jalousie. Il s’agit de justice, de cohérence, de morale publique. On ne peut pas demander à une caissière de bosser jusqu’à 64 ans pendant qu’un ex-Premier ministre vit aux frais de l’État dès qu’il quitte son bureau. On ne peut pas pleurer sur les déficits publics tout en entretenant une cour de fantômes institutionnels.
Et la solution ? Elle est simple. D’une évidence déconcertante : 👉 Limiter les privilèges dans le temps. 👉 Les conditionner à une activité réelle au service de la Nation. 👉 Les soumettre à un contrôle citoyen. 👉 Ou mieux encore : les supprimer. Complètement. Définitivement. Radicalement.
Mais pour ça, il faut une chose. Une seule : la volonté collective de dire NON. Pas un non timide. Un non frontal. Un non révolutionnaire.
Parce que si on ne le fait pas, alors cessons de nous appeler une République. Acceptons que nous vivons dans un système de castes déguisées, où le pouvoir garantit un passe-droit éternel.
Et si nous acceptons cela, alors nous n’avons plus le droit de nous plaindre du reste. Ni du prix de l’essence. Ni des hôpitaux saturés. Ni des classes surchargées.
La question est donc brutale, mais inévitable : On supprime leurs privilèges ? Ou on continue à faire semblant d’être une démocratie pendant qu’ils s’engraissent sur notre dos ?
À vous de trancher. Moi, j’ai déjà jeté ma carte d’électeur dans l’urne en carton des illusions perdues.
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