I. Erdoğan arrête la démocratie pour corruption et terrorisme : Istanbul pleure son maire préféré

Décidément, en matière d’innovation politique, la Turquie ne déçoit jamais. Après avoir arrêté des journalistes trop bavards, des juges trop justes et quelques milliers d’opposants trop populaires, Recep Tayyip Erdoğan vient de franchir une nouvelle étape spectaculaire : arrêter une ville entière. Enfin presque. Cette fois-ci, c’est Ekrem İmamoğlu, très populaire maire d’Istanbul et rival numéro un du président, qui se retrouve derrière les barreaux, accusé d’un forfait trois-en-un inédit : corruption, terrorisme, et bientôt peut-être du réchauffement climatique, pour faire bonne mesure.

À force de déclarer tout le monde terroriste, on se demande sincèrement s’il reste quelqu’un en Turquie qui ne le soit pas, hormis Erdoğan lui-même. İmamoğlu, ce dangereux agitateur, aurait été vu récemment en train de serrer des mains dans un marché bondé et pire encore, d’embrasser des bébés. Autant de comportements que tout bon dictateur moderne sait identifier comme de redoutables tactiques terroristes. On ne le dira jamais assez : un bébé embrassé aujourd’hui, c’est une insurrection garantie pour demain.

Cette créativité juridique atteint d’ailleurs des sommets olympiques : en Turquie, la démocratie est devenue si corrompue qu'elle s’arrête dès qu'elle gagne une élection. Erdoğan a su parfaitement réinventer le dictionnaire politique : désormais, pour se débarrasser d’un adversaire gênant, on ne s’encombre plus de preuves ennuyeuses ou de procès équitables. Trop long, trop vintage. Non, le président préfère appliquer son combo magique : une pincée de corruption, une grosse louche de terrorisme, et hop, direction la prison. Simple, rapide, efficace.

À ce rythme, on s’attend bientôt à découvrir qu’İmamoğlu est secrètement à la tête d’une organisation clandestine composée de grands-mères tricotant des pulls explosifs ou de boulangers distribuant des baklavas subversifs. La paranoïa politique, en Turquie, est devenue un sport national dans lequel Erdoğan brille aisément.

Bref, chers lecteurs, rassurez-vous : tout va bien. La Turquie est désormais débarrassée de ce dangereux criminel qu’était İmamoğlu. L’avenir radieux promis par Erdoğan approche à grands pas… du moins à condition d’être aveugle, sourd, muet et idéalement en détention préventive.

Mais soyons clairs : aucune moquerie gratuite envers le peuple turc ici. On n’aimerait vraiment pas se retrouver avec des kebabs froids ou, pire, sans viande du tout. Car là, ce serait véritablement un crime impardonnable contre l’humanité.

II. « 300 000 manifestants : le nouveau groupe terroriste selon Erdoğan »

Imaginez la scène : 300 000 personnes dans les rues d’Istanbul, Ankara, Izmir… des foules immenses brandissant des pancartes, scandant des slogans, réclamant — horreur ! — des comptes au pouvoir. Bien sûr, dans n’importe quel pays démocratique, on appellerait ça une mobilisation populaire. En Turquie, on appelle ça… une cellule terroriste en plein air.

Il faut dire que dans l’univers kafkaïen d’Erdoğan, toute personne qui manifeste est suspecte par défaut. Sauf bien sûr si elle manifeste pour remercier Erdoğan d’avoir augmenté les prix du pain ou d’avoir emprisonné un maire. Là, c’est une fête nationale.

Mais revenons à notre joyeuse bande de « terroristes ». Ils osent réclamer des choses impensables : un État de droit, la fin des arrestations arbitraires, et – tenez-vous bien – la libération d’un élu démocratiquement choisi. Ce genre de comportement subversif appelle une réponse proportionnée, non ? Et la Turquie ne déçoit jamais. Entre gaz lacrymogène, balles en caoutchouc, canons à eau et matraques en rafale, tout le bestiaire anti-manifestation était de sortie, comme dans une parade militaire du désespoir.

Et que dire des enfants, des retraités, des couples et des étudiants, venus pacifiquement ? Ils ont eu droit, eux aussi, à leur petite dose de patriotisme en spray. Les grands-mères enrhumées, les gamins terrifiés, les chiens errants gazés par erreur — personne n’a été oublié dans cette vaste opération d’amour républicain à la turque.

Ce qu’il y a de fascinant dans cette mise en scène répressive, c’est qu’elle ne fait même plus semblant. On ne disperse pas une émeute. On écrase une opinion. On éteint une contestation avant qu’elle n’ose devenir espoir. Et tout cela, sous les yeux du monde, qui regarde avec la même énergie qu’un paresseux sous sédatif.

Alors oui, 300 000 manifestants dans les rues, c’est impressionnant. Mais en Turquie, ce n’est pas un mouvement populaire : c’est un casting grandeur nature pour la prochaine série Netflix sur les prisons surpeuplées.

À ce stade, on peut se demander si Erdoğan ne va pas simplement élargir les prisons en fusionnant avec les stades de football. Plus pratique, plus spacieux, et surtout : plus de place pour les « terroristes en baskets ».

III. « Le Parti républicain du peuple (CHP), ou l’art de résister sans se faire arrêter (pour le moment) »

Il faut reconnaître un certain talent au CHP : celui de résister en équilibre précaire sur une corde raide, les menottes pas encore fermées mais déjà bien huilées. Depuis l’arrestation d’İmamoğlu, le parti d’opposition joue au funambule sur une ligne de haute tension, le tout en costume trois-pièces et sourire crispé. Leur arme secrète ? Les horaires prolongés de primaires. Oui, vous avez bien lu.

Dans un geste d’une témérité presque suicidaire, ils ont décidé de maintenir la candidature d’İmamoğlu et d’étendre le vote, comme pour dire : « Tant qu’à être dans la ligne de mire, autant danser dessus ». Un message clair envoyé au régime : « On n’est pas encore en prison, mais on s’y prépare, on réserve les places. »

Certains y verront un acte de courage, d'autres un suicide assisté à la turque. Car rappelons-le : dans cette version contemporaine de la démocratie façon Erdoğan, même les urnes sont suspectes. Il ne serait donc pas surprenant que le président accuse bientôt les bulletins de vote d’avoir trempé dans un complot terroriste, ou d’avoir été recrutés par la CIA pendant leurs années lycée.

Et puis il y a cette solidarité politique qu’on admire autant qu’on redoute : l’opposition turque, bientôt disponible en intégralité dans la même cellule. Ils pourraient même former un orchestre révolutionnaire à l’intérieur : İmamoğlu au mégaphone, les députés aux casseroles, les militants à la guitare désaccordée. Un remake de “The Voice”, version carcérale, sponsorisé par le ministère de la Justice.

Mais attention, hein. Ne nous méprenons pas : le CHP ne veut pas renverser le régime, non non. Il veut juste pouvoir participer à une élection sans finir dans un fourgon. Une demande modeste, quasi folklorique à ce stade de l’Histoire.

Et c’est là toute la beauté tragique du CHP : un parti qui croit encore au jeu démocratique dans un pays où la démocratie a été remplacée par une série de sketchs, produits, réalisés et diffusés par un seul homme, à une seule caméra.

À ce rythme, la seule manière pour l’opposition de ne pas se faire arrêter, ce sera de se déclarer… pro-Erdoğan. Et encore, rien n’assure qu’ils ne seraient pas arrêtés pour usurpation d'identité politique.

IV. « Réactions internationales : indignations sur papier recyclé »

Ah, les grandes puissances occidentales… toujours prêtes à dégainer l’arme ultime face aux dérives autoritaires : le communiqué de presse tiède. L’arrestation d’İmamoğlu n’a pas échappé à cette noble tradition. En moins de 24 heures, Bruxelles s’est déclarée « profondément préoccupée » — une expression diplomatique qui, dans le langage des dictatures, se traduit par : « vous pouvez continuer, on va juste froncer les sourcils dans un PDF ».

À Washington, même tempo. La Maison Blanche « suit la situation avec attention », ce qui signifie sans doute qu’un stagiaire a mis une alerte Google sur le mot “İmamoğlu”. Pendant ce temps, Erdoğan continue sa partition avec la sérénité d’un chef d’orchestre sourd, parfaitement immunisé contre les murmures de la morale internationale.

Et puis il y a nos champions des droits de l’homme, ces ONG toujours promptes à s'indigner… par email. Amnesty International, Human Rights Watch, Reporters Sans Frontières : tous se sont mobilisés avec leur fameux fichier Word “Indignation_2025_v6_final_FINAL.docx”, prêt à être rempli à chaque nouveau dérapage autoritaire, comme un formulaire de routine.

On les imagine presque en réunion : — « Bon, la Turquie a encore arrêté un opposant. On reprend le modèle Syrie ou Russie ? » — « Non, mets celui de 2022, ça passera crème. Change juste le prénom. »

Et pendant qu’on imprime les rapports en double interligne pour qu’ils aient l’air plus fournis, sur le terrain, rien ne change. Erdoğan sait pertinemment que ces réactions sont des coups d’épée dans l’eau — une eau tiède, chlorée, filtrée par les intérêts économiques et géopolitiques.

Soyons lucides : la Turquie est dans l’OTAN, les contrats d’armement pleuvent, les réfugiés sont bien gardés. Alors un maire arrêté pour corruption bidon ? Bof. On va pas risquer une crise diplomatique pour ça. Pas quand on peut continuer à vendre des drones et à signer des accords.

À ce niveau-là, ce n’est plus du cynisme, c’est une chorégraphie bien huilée : Erdoğan réprime, l’Occident s’indigne mollement, tout le monde rentre chez soi, et le peuple turc, lui, apprend à manifester en courant très vite.

Mais ne soyons pas injustes. L’Union Européenne a promis de « suivre l’évolution de la situation ». Ce qui est formidable, parce qu’en Turquie, la situation évolue tout le temps : vers le bas.

Alors la prochaine fois qu’un leader démocratique sera arrêté, on aura droit à un copier-coller plus rapide encore. Efficacité maximale. Indignation durable. Sur papier recyclé.

V. « Erdoğan 2028 : une réélection garantie par absence d’adversaires vivants »

À ce rythme-là, la seule véritable surprise des élections de 2028 en Turquie sera… s’il y a encore des bulletins autres que "Erdoğan" sur la table. La stratégie est limpide : pourquoi perdre son temps à débattre, convaincre, ou – horreur – laisser les gens choisir, quand on peut simplement emprisonner ses adversaires comme on trie son linge sale ?

İmamoğlu ? Évacué. Démocratiquement. Enfin… juridiquement. Disons administrativement. Bientôt, les affiches de campagne d’Erdoğan pourraient porter le slogan : « Pour une élection apaisée : aucun opposant, aucun suspense ». Un luxe que même la Corée du Nord jalouserait.

La scène politique turque ressemble de plus en plus à une partie d’échecs truquée où toutes les pièces noires ont mystérieusement disparu. Le roi blanc (Erdoğan, évidemment) avance tranquillement, pendant que les pions restants prient pour ne pas être reclassés comme objets contondants interdits.

Et comme si ça ne suffisait pas, il se murmure dans les couloirs du palais présidentiel qu’après les maires, les juges et les journalistes, les électeurs eux-mêmes pourraient être prochainement surveillés de près. Après tout, quel est le problème ? S’ils votent mal, ce sont forcément des complices du terrorisme, non ? Un bon petit bracelet électronique à chaque citoyen suspect de pensée démocratique, et hop, la paix sociale est garantie.

Soyons honnêtes : avec ce casting vidé de tout adversaire réel, Erdoğan peut désormais affronter… Erdoğan. Un duel épique, retransmis en direct, où il débattra seul, se contredira peut-être sur les chiffres, mais gagnera à la fin, par acclamation obligatoire.

Et pour ceux qui s’inquiètent encore de la tournure autoritaire des choses, pas de panique. Le président assure que tout est légal. Ce n’est pas une dictature, voyons. C’est juste une démocratie en mode solo.

Moralité : en Turquie, en 2028, le vote risque fort de ressembler à une blague. Mais chut… rire pourrait devenir subversif.

Conclusion : « En Turquie, la démocratie est un luxe désormais réservé aux touristes étrangers »

Quand on y pense, c’est presque poétique. La Turquie, berceau de civilisations, pont entre l’Orient et l’Occident, s’est transformée en une sorte de musée de la démocratie disparue, où l’on peut encore admirer ses vestiges à condition de ne pas trop poser de questions.

Les touristes, eux, peuvent continuer de flâner dans les bazars, de visiter Sainte-Sophie, et de siroter des thés à la menthe au bord du Bosphore… pendant que les locaux, eux, se font gazer pour avoir levé une pancarte. C’est la nouvelle carte postale turque : en façade, tout va bien. En coulisses, ça pique les yeux. Littéralement.

Et dans ce paysage de carte truquée, Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et bouc émissaire en chef, incarne l’ultime espoir de millions de citoyens — ce qui, visiblement, est un crime passible de détention préventive dans la constitution parallèle d’Erdoğan. Mais qu’on se rassure : İmamoğlu pourra toujours gérer sa ville depuis sa cellule, tant qu’il ne tente pas de s’en évader par la pensée.

Le plus ironique ? Ce ne sont pas les tanks ni les balles qui enterrent la démocratie. Non. Ce sont des accusations absurdes, des procès truqués, des bulletins invalidés. Ce sont les silences assourdissants de ceux qui pourraient parler, les indignations polies de ceux qui n’oseront jamais agir.

Alors si vous passez bientôt par Istanbul, pensez à regarder le ciel, pas seulement les minarets. Il se peut que la liberté y flotte encore, en fines particules, quelque part entre deux drones de surveillance et un nuage de gaz lacrymogène.

Mais surtout, un conseil d’ami : ne dites pas le mot “liberté” trop fort en public. On ne sait jamais. Ça pourrait vous valoir un kebab froid. Et ça, franchement, ce serait vraiment la fin de tout.

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