Chapitre 1 – Le piège doré : quand le poison a une appli mobile et un sourire en plastique
Tu crois que le piège, c’est une planche en bois avec un ressort rouillé et un morceau d’Emmental, posé dans un coin de cuisine mal lavée ? Non. Ça, c’est pour les rats.
Le piège moderne, c’est slick, ça brille, et ça a des options de paiement en trois fois sans frais.
Il est designé par des diplômés de grandes écoles, marketé par des sociopathes enthousiastes et servi par des étudiants sous-payés qui t'appellent "chef" parce que ça coûte moins cher qu’un sourire sincère.
Le piège moderne, c’est cette appli que t’as ouverte sans faim, juste pour "voir", et cinq minutes plus tard t’étais en train de comparer les menus comme si tu allais signer un contrat de mariage.
“Menu Maxi Best Of avec Coca ? Ou le Signature avec pain brioché et sauce mystérieuse ?”
Mon gars, t’es en train de choisir ton cercueil, et tu veux qu’il ait des LED.
Tu veux savoir pourquoi c’est beau ?
Parce que c’est pensé pour dépasser ton cerveau reptilien. Tout y est : les couleurs chaudes qui évoquent la faim, les photos retouchées à mort avec un burger qui a le volume d’un oreiller à mémoire de forme, les mots qui brillent comme des promesses ("Savoureux", "Généreux", "Double"... jamais "Digeste").
Et ça marche.
Pas besoin de fil de fer, le piège est mental.
Et le plus fort ?
C’est que tu crois avoir le choix.
Tu crois que t’as "préféré McDo à Quick", que "KFC c’est mieux pour le poulet", que "Burger King c’est plus grillé".
Mais en vérité, t’as juste choisi le parfum de ton propre abandon.
Tu crois être un client. T’es un cobaye consentant, qui applaudit quand il reçoit sa dose.
Le rat, lui, n’a pas d’appli. Il voit du fromage, il fonce. Il est naïf, certes.
Mais toi ?
Toi, t’as regardé Netflix, t’as validé un panier, t’as attendu ton Uber Eats, et quand ça a sonné à la porte, t’as souri comme un mec qui vient de gagner sa propre exécution gastronomique.
Alors ne dis pas que t’as été piégé.
T’as été séduit.
Chapitre 2 – T’aurais pu manger chez Alain Ducasse, mais t’as choisi un burger décongelé
Alain Ducasse. Trois étoiles. Dix doigts. Une âme.
Le mec te prépare une assiette comme s’il écrivait un poème sur la langue des dieux. Il te parle de textures, de maturations lentes, d’équilibres subtils entre le croustillant et le fondant.
Un repas chez lui, c’est une expérience sensorielle, une déclaration d’amour à la vie, un orgasme avec des serviettes en tissu.
Et toi ?
Toi t’as choisi une galette de viande morte recuite, logée entre deux tranches de pain mous comme ton estime de soi.
Tu t’en rends compte, ou pas ?
T’aurais pu être un esthète.
T’aurais pu faire honneur à ton palais, t’asseoir à une table où chaque plat a été pensé pendant 17 ans, où la carotte a eu une enfance heureuse et la sauce a fait sa thèse.
Mais non.
T’as préféré un burger qui sort de la chaîne comme un drone de guerre, lancé au milieu d’un champ de frites surgelées.
Pourquoi ?
Parce que t’avais la flemme. Parce que c’est plus rapide. Parce que c’est pas “prise de tête”.
Mais surtout, parce que t’as été dressé à croire que ton confort vaut plus que ta dignité digestive.
Tu veux pas réfléchir. Tu veux que ça ait "du goût" – c’est-à-dire, qu’on te balance du sel, du gras, et du sucre dans les dents, comme un animal qu’on gave avant l’abattage.
Mais la vraie tragédie, c’est pas le choix.
C’est que t’as pas eu à choisir.
T’as pas hésité entre le risotto aux truffes et le McChicken. Non. Ton doigt a glissé tout seul sur l’icône de l’appli. Tu n’as même pas pensé qu’il y avait autre chose.
Tu ne vis plus dans un monde où l’excellence culinaire est une option.
Tu vis dans un monde où le menu est prévisible, automatisé, et servi en sachet.
Le rat, lui, il a vu une tranche de fromage. Toi, t’as vu une pub avec une fausse vapeur qui sort du burger, une voix off qui t’a parlé comme à un enfant débile, et t’as dit : “Ouah, j’en veux.”
T’aurais pu être un gourmet.
T’as choisi d’être un client fidèle.
Chapitre 3 – Ronald, ton dealer préféré : le fast-food comme confort toxique et ritualisé
Il est là, Ronald. Debout, immobile, un sourire peint à la truelle sur un visage qui ne connaît ni honte ni remords.
Ses cheveux rouges, son nez de clown, ses fringues de maniaque échappé d’une rave party pour enfants...
Mais toi, tu l’aimes. Tu le trouves marrant. Attachant, même.
C’est ton dealer.
Ton gars sûr.
Celui qui t’a initié dès l’enfance. Le Happy Meal comme première dose, les jouets en plastique comme récompense, la petite frite pour habituer ta main à tremper dans la graisse.
Il t’a offert ton premier shoot de sucre et de sel.
Et toi, t’as demandé un refill.
Tu sais ce qu’il vend ?
Pas de la bouffe. Pas vraiment.
Il vend du souvenir.
Du "après le foot avec papa", du "le samedi après-midi avec les copains", du "j’ai bien travaillé à l’école, je mérite un McFlurry".
Chaque bouchée est une piqûre de nostalgie directement dans le cortex limbique.
Tu crois que t’as faim ? Non.
T’as juste envie d’être aimé comme quand t’étais gosse.
Et lui, Ronald, il le sait.
Il te prend dans ses bras avec ses gants blancs en vinyle, te file ton menu, et te dit : “Chut, t’inquiète pas. C’est chaud, c’est gras, c’est simple. Comme ton enfance. Comme toi.”
Mais ce n’est pas de l’amour. C’est une dépendance stylée.
Et n’oublions pas ses cousins du quartier.
Le vieux du KFC ? Un patriarche toxique.
Il te regarde comme un grand-père du Sud américain, mais il te sert des trucs panés qui n’ont jamais vu une plume fraîche. Il a remplacé la tendresse familiale par du MSG et une recette secrète classée “confidentiel défense”.
Burger King ?
Un roi auto-proclamé qui te vend une couronne en carton et des promesses de “vrai goût” dans un décor digne d’un salon d’aéroport.
Il fait le malin avec ses slogans genre “Have it your way”, mais au final, t’as le choix entre frites… ou frites.
Et tu trouves ça normal.
C’est ça le piège. Il est chaud, il est moelleux, il est servi avec un Coca trop froid et une culpabilité tiède.
Et tu reviens.
Pas parce que c’est bon. Mais parce que c’est familier.
Et dans un monde de plus en plus flippant, t’es prêt à tout pour un peu de prévisible.
Même à t’empoisonner rituellement, avec le sourire.
Ronald, t’es pas un clown.
T’es une institution. Une drogue. Une religion.
Et tes fidèles t’adorent.
Chapitre 4 – Et si on notait les pièges sur Tripadvisor ?
Imagine la scène. Le rat meurt, la nuque claquée par une barre métallique, et au lieu de gémir, il sort son iPhone miniature, ouvre TripAdvisor et laisse un avis :
“Piège efficace, fromage de qualité industrielle, mort rapide. 4 étoiles, j’enlève une pour l’absence de dessert.”
Tu crois que c’est absurde ?
C’est exactement ce qu’on fait.
On se fait avoir. Tous les jours.
Par un sandwich suintant de nostalgie frelatée, un soda géant qui nettoie mieux les jantes que le foie, une boîte en carton ornée d’un sourire qui nous regarde crever gentiment.
Et qu’est-ce qu’on fait après ?
On laisse un commentaire.
“Service rapide, burger tiède mais bon, frites croustillantes. Je reviendrai !”
Mais bien sûr que tu reviendras.
T’as mis des étoiles sur ta propre soumission.
T’as applaudi ton propre piégeage.
On vit dans un monde où on confond la qualité avec la satisfaction instantanée.
On veut pas de la vraie cuisine.
On veut du réconfort calibré, livré en moins de 15 minutes, avec une appli qui se souvient de notre sauce préférée.
Et le plus fou ?
C’est qu’on est reconnaissants.
On dit merci à l’algorithme, au livreur, à la chaîne, à la machine.
On est émus parce que nos nuggets sont bien disposés.
On photographie notre poison, on le filtre sur Instagram, et on dit à tout le monde : "Regardez comme je suis heureux d’être piégé."
Le rat, lui, ne laisse pas d’avis.
Il meurt.
Toi, tu reviens.
Avec un code promo.
Tu fais partie de la nouvelle espèce : l’Homo TripAdvisorus, qui juge les pièges non pas à leur dangerosité, mais à leur efficacité marketing.
T’as pas besoin de liberté.
T’as besoin d’un bon service client et d’un menu enfant collector.
Et surtout, que personne ne vienne te dire que t’es con.
Parce que t’as mis 5 étoiles. Donc c’est que c’est bien.
Chapitre 5 – Cuisine ou soumission ? L’art de préférer la facilité à la beauté
Tu veux pas cuisiner.
Tu veux pas attendre.
Tu veux pas réfléchir.
Tu veux que ça arrive vite, chaud, salé, et que ça te donne l’impression d’avoir pris une décision.
Bienvenue dans la gastronomie moderne, version fast-food : le Netflix de la bouffe.
Zéro engagement, zéro profondeur, que du contenu immédiatement consommable.
Le goût, c’est plus une expérience.
C’est une notification.
Et pourtant, quelque part dans ton ADN, y’a encore une lueur.
Un souvenir flou d’un plat mijoté par quelqu’un qui t’aimait, d’une assiette belle à pleurer, d’un moment suspendu autour d’un vrai repas.
Mais tu l’as enfoui sous des couches de cheddar plastique et de ketchup industriel.
Parce que la beauté, ça prend du temps.
Et toi, t’as pas le temps.
Tu préfères la soumission assaisonnée.
On te dit quand manger, quoi commander, comment te sentir.
Et tu remercies.
Tu lèches les doigts avec une ferveur de converti.
Cuisine ou soumission ?
Ce n’est même plus une question.
T’as voté avec ta carte bleue. Et t’as choisi la facilité.
Pendant ce temps, dans un restaurant où le chef connaît le nom de ses légumes, quelqu’un d’autre goûte une purée de céleri au beurre noisette, réduite au feu doux, servie dans une assiette chaude.
Il pleure un peu. Pas à cause du prix. À cause de l’émotion.
Toi, tu pleures aussi.
Parce que la sauce de ton Big Tasty a coulé sur ton t-shirt.
Et tu vas le remettre demain.
Parce que t’aimes bien ce t-shirt.
Et t’aimes bien ce goût.
Mais rappelle-toi : ce n’est pas le tien.
C’est celui qu’on t’a mis dans la bouche.
Et que tu continues d’avaler.
Chapitre 6 – Le piège ultime : croire qu’on a le choix
Alors tu vas me dire :
"Oui mais moi, je choisis.
Je préfère McDo parce que j’aime le goût.
Je suis pas un mouton, je suis un consommateur éclairé."
Oh vraiment ?
Tu crois avoir le choix parce que t’as sélectionné “grande frite” au lieu de “petite”.
Parce que t’as changé Coca pour Ice Tea.
Parce que t’as ajouté une sauce Deluxe comme un chef qui assaisonne à l’instinct.
Mais ça, mon ami, c’est de la liberté en kit.
Préfabriquée. Encadrée. Cliniquement simulée.
Ton soi-disant "choix", c’est comme voter dans une dictature :
tu peux changer la couleur du rideau, mais derrière, c’est toujours la même arnaque.
On te donne l’illusion du contrôle. On t’offre des menus, des options, des nouveautés avec des noms qui chantent comme “Royal Deluxe Truffe Limited Edition”.
Et toi, t’es là, comme un sommelier du faux.
Tu dis “ah ouais celui-là il est pas mal, le steak est plus juteux”.
Frère… c’est le même steak, mais ils ont changé la boîte.
Tu crois que t’es libre parce que tu cliques.
Parce que tu customises.
Mais tout est déjà décidé pour toi.
Ta fringale, ton envie, ton choix, ta commande. Tout.
Et le pire ?
Tu le sais.
Au fond, tu le sais que c’est un scénario, et que t’es juste un figurant bien dressé.
Mais tu continues.
Parce que t’as besoin d’y croire.
Parce que si t’admets que t’es piégé, ça voudrait dire que le rat, c’était toi depuis le début.
Le rat, au moins, il a pas l’arrogance.
Il fonce, il se fait niquer, fin de l’histoire.
Toi, t’as mis une alarme pour te rappeler de commander avant la fermeture.
T’as préparé ton petit plaid, ta série Netflix, ta serviette en papier McDo recyclée.
T’as ritualisé ta captivité.
Et maintenant tu parles de choix ?
Allons.
T’es pas libre.
T’es fidèle.
Conclusion – "LOL, c’est trop con un rat." Et toi, tu reprends des frites ?
Le rat, il a vu un bout de fromage. Il s’est dit “miam”. Il s’est fait niquer.
Point.
C’est tragique.
Mais limpide.
Toi, tu vois un mème avec le rat, tu rigoles.
Tu partages, tu commentes, tu rajoutes un “mdr il est débile ce rat”,
et tu cliques sur ta promo McFirst deux minutes plus tard.
Tu vois le piège.
Tu connais le piège.
Tu adores le piège.
Et tu t’y précipites comme si t’avais des actions dedans.
Mais avec un sentiment de supériorité qui, honnêtement, devrait être facturé à part sur le ticket.
Le rat est mort d’un piège.
Toi, tu vis dans le tien.
Et tu t’en régales.
Alors c’est qui l’animal ?
C’est qui le crétin ?
C’est qui le consommateur éclairé qui claque sa tune dans un repas qu’il regrette avant même la dernière bouchée ?
C’est qui qui poste son menu sur Insta comme si c’était un trophée alors que c’est un aveu de reddition ?
C’est qui qui pense être malin parce qu’il a “ajouté des nuggets pour 2€” ?
C’est toi.
C’est nous.
C’est toute une civilisation qui a troqué la fourchette contre un emballage gras et une sauce standardisée.
Mais hey.
T’as le droit d’aimer.
T’as le droit de kiffer.
Mais ferme-la sur le rat.
Parce que lui, au moins, il est mort dignement.
Toi, tu revis ta trahison tous les week-ends.
Et quand le livreur sonnera à ta porte, tu iras ouvrir, en pyjama, le regard honteux, les bras déjà tendus…
…et tu diras :
“Merci.”
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